Mimouna est une fête familiale célébrée principalement par les Juifs marocains. En Israël c’est aussi un événement exceptionnel qui attire les hommes politiques, ce qui favorisa son officialisation comme journée partiellement chômée.
On a souvent recours à des étymologies populaires pour expliquer son nom et ses origines en lui octroyant un contexte religieux. Ainsi la Mimouna devint la commémoration de l'anniversaire de Maïmon, père de Maïmonide (Rabbi Moshe ben Maïmon). Pour certains, inquiets par l’aspect laïc de cette fête, Mimouna se transforma en emuna (foi) et devient la fête de la foi. Etant donné qu’elle est fêtée le dernier jour de Pessah on l’associa aussi à la délivrance, geulah, de la servitude en Egypte.
Aux origines : la chance
Pour connaître ses véritables origines il est impératif de procéder à une analyse critique ses divers aspects. La Mimouna est principalement caractérisée par une table unique en son genre qu’on dresse la veille de la fête. Cependant cette table ne sert pas un dîner familial comme à l’occasion des fêtes religieuses. Vous n’y trouverez ni les plats cuisinés typiques aux familles juives du Maroc, ni viandes ni salades, ni café. Cette table n’est en fait qu’un impressionnant répertoire de représentations symboliques : des poissons vivants dans un bol d'eau, cinq fèves vertes trempées dans une pâte de farine, cinq dates, cinq bracelets en or, cinq pièces d'or ou de bijoux en argent, du lait et du beurre, de la farine blanche, de la levure, du miel, une variété de confitures, un cône de sucre, des tiges de blé, une variétés de plantes vertes et de fleurs et surtout des pâtisseries raffinées et une sorte de crêpe moufleta. Il est évident que ces éléments, exposés aux yeux des invités qui défilent d’une maison à l’autre, ont évidemment un rapport avec le printemps, la fertilité, la prospérité et l’abondance. Ils préconisent la chance, la fortune et le bon sort, qui se traduisent aussi dans une salutation traditionnelle : terbhu utse‘du, traduite comme « succès et réussite ».
Un autre indice sur l’origine de la fête se trouve dans son nom. Le mot arabe mimoun signifie : « chance » ou « bonne fortune ». Mimouna ne serait alors que la forme féminine de Mimoun qui tous deux sont des patronymes courants au Maroc chez les musulmans. Les juifs portent souvent les noms Mimoun ou Mass‘oud qui font allusion à la chance et à la prospérité. Au cours de la fête on entame des chansons à Dame Mimouna : alala mimouna / ambarka mas‘uda, qui signifie « Oh Dame Mimouna / oh chanceuse et bénite ». Cette table symbolique, comme il s’avère, n’est en fait dressée que pour apaiser une déesse-démone, telle Aicha Qandicha, qui risque de nous jeter un mauvais sort si on n’en tient pas compte.
La coutume de dresser une table pour apaiser un démon ou un mauvais génie n’est ni récente ni exclusive aux Juifs du Maroc. Elle existe déjà dans la Bible hébraïque. Le deutéro-Esaïe, prophète de l’époque perse, mentionne cette coutume pour la déplorer: « Et vous qui avez abandonné Yahvé / qui ignorent le mont de ma sainteté / qui dressent une table pour Gad, et remplissent une coupe pour Meni (Esaïe 65,11). Gad (comme probablement Meni) est bien connu comme le dieu de la chance, tout comme (Mimoun ou Mimouna). Gad est aussi une divinité ouest asiatique, parfois nommé Baal-Gad, dieu de la chance à qui on dresse une table pour l’amadouer et éloigner sa fureur. A l’époque monarchique les prophètes de Juda dénoncèrent cette pratique et essayèrent de la délégitimer comme superstition. Plus tard, les rabbins du Talmud la critiquèrent: « Et celui qui dresse une table devant la femme qui accouche, ceci est une coutume des amorites (coutume étrangère) » (Tosefta, shabbat 7).
Un démon vieux de 6 siècles
Les références écrites au démon Mimoun, conjoint de la démone Mimouna, datent du 15ème siècle. Un manuel de magie publié en Espagne, probablement avant le 15ème siècle, « Claviculae Salomonis » mentionne un roi-démon, qu’il nomme « le noir Mimoun de l’Occident (Maghreb) » Mimoun et sa parèdre Mimouna apparaissent dans de nombreux manuscrits à partir du 15ème siècle.
A quel moment donc les Juifs du Maroc commencèrent à dresser une table à Mimouna ? La réponse se trouve dans les récits de voyageurs juifs au Maghreb. Samuel Romanelli, juif italien qui parcouru le Maroc à la fin du 18ème siècle, nous fourni un témoignage sur cette pratique et interpréta ainsi son origine : « A la sortie de le fête de Pessah, ils dressent une table avec beaucoup de friandises et s’invitent les uns chez les autres. Les invités se servent à leur guise et bénissent leur hôte. Quelle est donc l'origine de cette coutume ? N’aurait elle pas un rapport avec la pratique de dresser une table pour Gad ? ». Romanelli a ainsi établi le lien entre la Mimouna et la coutume des temps bibliques où l’on dressait une table au dieu de la chance.
Israël Yossef Binyamin (Binyamin II), un autre voyageur juif qui visita le Maroc vers 1852, mentionne la nuit d'al-mimoun. En 1772, deux autres voyageurs, Rabbi Haïm Yossef David Azoulay (le Hida), et Elqana bar Yeruham, notent que isrou hag, le dernier jour de Pessah, a de tout temps été considéré comme un jour néfaste, un jour où le mauvais oeil était susceptible de causer des dégâts. D'où la nécessité d'apaiser ce jour là les démons de la malchance, Mimoun et Mimouna.
Gnawa et Mimouna
Est-ce un hasard de retrouver le personnage de Mimouna dans la confrérie des Gnawa, une secte mystique au Maroc, dont la musique influença de nombreux compositeurs de musique Pop et Jazz tels que Jimi Hendrix, Brian Jones, Mick Jagger, Miles Davies, Randy Weston et Ornette Coleman. Les Gnawa organisent chaque année une cérémonie qui commence par un défilé et se termine par une danse extatique. Leurs chansons s’adressent entre autre à la déesse Mimouna et à son parèdre Sidi Mimoun. Les Gnawa invoquent Lala Mimouna pour l'apaiser. Une chanson lui est dédiée « La voici Lala Mimouna / elle vient, Dame fortune / apporter à tous la joie / Grace à ses faveurs / nous n’avons jamais faim / sucreries, gâteaux et boissons / plaisir et joie sans mensonge / Mimouna, bien-aimée / ton soleil guérit nos maux / ta lumière illumine nos collines / belle au grand sourire / chaque année rend nous visite, Mimouna ».
Malgré les dissemblances avec les Gnawa, les Juifs adoptèrent la figure de Lala Mimouna probablement vers le 15eme siècle. D'autre part, le nom de Sidi Mimoun, qu’on retrouve sur des amulettes et dans textes d’exécration ou d’incantations kabbalistiques, a disparu ne laissant que sa parèdre Mimouna.
Une coutume du jour de la Mimouna nous révèle un autre aspect de conjuration du mauvais sort. Les Juifs du Maroc avaient l’habitude de se retrouver à proximité de sources d’eau ou au bord de la mer. A Casablanca, cette coutume était appelée « bou herres », terme qui fait allusion à l’action de casser. Les membres de la famille trempent les pieds dans l'eau, tournant le dos à la rive, ils sortent des cailloux de leurs poches, les jettent par dessus le dos en déclamant la formule : « va t’en bou herres, retire toi esprit du malheur » (sir abou herres sir abou la‘layl). En quelque sorte le mauvais sort est jeté au loin dans l’eau pour qu’il ne puisse plus nuire.
Une fête religieusr à l'aspect laïc
La coutume de se débarrasser du mal ou d’un péché près d’une source d’eau se constate aussi dans le rituel du tashlikh d’origine ashkénaze. Lors de cette opération on secoue les pans de son vêtement au bord d’une source d’eau pour y faire noyer symboliquement ses péchés. Le tashlikh n’est probablement pas plus ancien que la Mimouna et daterait aussi du 15ème siècle. On y récite un verset de la fin du livre de Michée: « Et tu engloutira dans les profondeurs de la mer tous leurs péchés » (Michée 7, 19).
La Mimouna juive marocaine était donc un jour symbolique conçu pour apaiser une déesse-démone locale, et s’avère totalement dépourvue d’aspect religieux. De nos jours, ses origines démoniaques et apotropaïques, ainsi que celles du tashlikh, sont totalement occultés. Avec le temps, ces coutumes se métamorphosèrent, mais l’orthodoxie juive n’osa que rarement s’y opposer ou les délégitimer. Cela dit, les us et coutumes peuvent aussi adopter de nouvelles interprétations.
De nos jours, on préfère mettre l’accent sur un autre aspect de la fête non moins considérable. Cette fête printanière était de tout temps la manifestation d’une symbiose judéo-musulmane. Les voisins musulmans venaient offrir leurs produits frais en lait, farine, levure et friandises à leurs voisins juifs qui ne pouvaient s’en approvisionner à cause des restrictions religieuses de la fête de Pessah. La veille de la Mimouna devint une soirée où les jeunes se rencontrent en tenues traditionnelles marocaines et en profitent pour demander les jeunes filles en mariage. Ces éléments n’ont fait que renforcer son aspect populaire et laïc qui s’est déjà éloigné de ses origines premières
7/4/2016, Yigal Bin-Nun
Source : Yabiladi