Il fut un temps où le Parti de la justice et du développement (PJD), l'Union socialiste des forces populaires (USFP) et le Parti de l'Istiqlal (PI) visaient loin, et ambitionnaient de garantir une représentation parlementaire aux Marocains résidant à l'étranger (MRE). Aujourd'hui, ce voeu semble totalement abandonné. Même l'aspiration, toute relative, de leur permettre l'accès direct au lieu du vote par procuration semble, aujourd'hui, bien difficile à atteindre.
92 bulletins de vote aux consulats
Que les MRE réclament le vote direct est "une chose raisonnable, légitime, légale et, dans une certaine mesure, constitutionnelle". C'est le point de vue d'Abdehak El Arabi, directeur de la commission des élections au Parti de la justice et du développement (PJD). Au moment où le dialogue pré-électoral entre les partis politiques marocains et les ministères de l'Intérieur et de la Justice est bien entamé, et les lois électorales ouvertes à révision, la demande formulée par un certain nombre de formations politiques et d'associations de MRE pour permettre à ces derniers de voter directement à partir de leur pays de résidence, sans passer par le vote par procuration, semble progressivement hors d'atteinte.
"Il y a 92 circonscriptions au Maroc. À supposer que dans une ville quelconque de la France ou d'un autre pays étranger, il y ait des MRE issus de toutes les circonscriptions du royaume, il faut mettre en place, au niveau du consulat, 92 urnes avec leurs listes électorales." C'est, selon une source bien informée, l'argument qui a été avancé par le ministère de l'Intérieur, lors des rencontres avec les partis politiques. Le département de Hassad a donc estimé que "le vote direct ne sera pas possible pendant ces élections, en raison des difficultés techniques et logistiques y afférent", ajoute notre source. Mais les partis politiques n'ont pas pour autant lâché l'affaire, et ont "demandé au ministère de l'Intérieur d'ouvrir le sujet à réflexion et au dialogue afin d'arriver à des solutions", précise notre interlocuteur.
Un jour, des MRE au parlement...
La question de la représentation parlementaire des MRE a fait, elle, l'objet de trois propositions de lois, déposées par le PJD, l'USFP et l'Istiqlal, en 2014. Elles diffèrent certes sur des aspects techniques primordiaux (nombre et taille des circonscriptions à créer à l'étranger, modalités du vote, etc.), ainsi que sur des aspects relatifs à la représentativité (nombre de parlementaires qui seront élus par les MRE), mais toutes concordent, s'agissant de la nécessité d'assurer une représentation parlementaire aux MRE.
La proposition de loi déposée par le PJD prévoyait la création de quatre circonscriptions électorales à l'étranger, dotées, pour celles où résident plus de 200.000 Marocains, de quatre sièges à la Chambre des représentants. Quant aux régions ne comptant pas une importante communauté marocaine, les députés du PJD proposaient de les unir dans une seule et même circonscription.
L'USFP, lui, souhaitait que les MRE soient représentés par 30 députés, et l'Istiqlal par 60.
Que s'est-il donc produit pour que moins de deux ans plus tard, l'USFP et l'Istiqlal se désinvestissent de la cause, et le PJD baisse progressivement les bras? D'abord, un conflit d'interprétation de la Constitution. Puis le poids logistique, administratif et technique de la chose. Et, enfin et surtout, l'indigence des propositions des partis.
Marges de l'article 17 de la Constitution
Dans son article 17, la Constitution dispose que "les Marocains résidant à l’étranger jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit d’être électeurs et éligibles. Ils peuvent se porter candidats aux élections au niveau des listes et des circonscriptions électorales locales, régionales et nationales." Tandis que des partis politiques plaident "la constitutionnalité du fait de créer des circonscriptions locales et régionales à l'étranger, le ministère de l'Intérieur ne voit pas la chose du même oeil. Pour l'Intérieur, les circonscriptions locales sont celles relevant des communes, les circonscriptions régionales celles des régions, et les circonscriptions nationales sont celles créées par les listes nationales des femmes et des jeunes", apprend-on d'une source proche du dossier. Le département de Hassad a donc clairement fait comprendre aux partis politiques que la création de circonscriptions locales ou régionales déterritorialisées n'est pas à l'ordre du jour.
Pesanteurs et réminiscences de 1984
D'autres obstacles ont également été mis en avant par le ministère de l'Intérieur: la superficie des circonscriptions qu'il faudra créer à l'étranger et le nombre de sièges à consacrer à chacune, le nombre de MRE que les députés devraient représenter, les moyens financiers et logistiques qui devraient être mis à leur disposition pour leur permettre d'exercer leur députation sans entrave. Autant de questionnements dont font abstraction les propositions de lois de l'USFP, de l'Istiqlal et du PJD.
Car les formules proposées par les trois partis politiques ne sont pas sans rappeler celle mise en place par le Maroc en 1984, dont elles se sont pleinement inspirées ... défauts, travers et insuffisances inclues: en 1984, les MRE étaient représentés par cinq députés, élus dans cinq circonscriptions à l'étranger. Neuf ans plus tard, en 1993, les circonscriptions des MRE sont supprimées sans aucune explication officielle.
Dans l'ensemble, l'expérience de 1984 n'a pas été un échec total. Et "indépendamment de certaines lacunes, les députés de l’émigration étaient très actifs, plus particulièrement dans le cadre de la commission parlementaire spécialisée. Ils ont aussi sensibilisé divers départements ministériels et fait mûrir l’idée d’un interlocuteur unique pour les Résidents marocains à l’étranger, qui donnera lieu, fin juillet 1990, à la création du Ministère délégué auprès du Premier Ministre chargé des Affaires de la communauté marocaine à l’étranger", note le chercheur Abdelkrim Belguendouz dans un article consacré au sujet.
Néanmoins, certaines raisons objectives ont lourdement compromis la viabilité de cette expérience: la superficie des circonscriptions et l'important nombre de MRE que les cinq députés devaient représenter. Le député Rachid Lahlou, élu à Madrid, devait représenter les Marocains vivant en Espagne, en Italie, en Angleterre, en Amérique du nord et du sud et en Afrique subsaharienne (surnommé pour cette raison le député des trois continents), et Abdelhamid Naïm représentait les Marocains dans tout le monde arabe. Ceci, sans compter leur présence au Maroc, qui a rendu difficile l'établissement de contacts avec leurs électeurs.
Que les partis politiques marocains reviennent, 30 ans plus tard, avec des propositions de lois souhaitant ressusciter l'expérience de 1984 avec son lot de tares et de défauts relève, au mieux, d'une forme de mollasserie intellectuelle pleinement assumée, ou d'une absence à peine masquée de volonté politique. Car il n'aurait tenu qu'à eux de proposer des formules qui dépassent et solutionnent les défauts qui ont conduit l'expérience de 84 à l'échec. Ceci, au moment où nombre de travaux ont été consacrés à cette expérience, et ont diagnostiqué les carences et les déficiences qui ont compromis sa durabilité.
11/04/2016, Reda Zaireg
Source : huffpostmaghreb.com