mercredi 3 juillet 2024 16:35

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«Casablanca Jewish Festival» est né

Pour sa première édition prévue au SOC, où trois films récents seront projetés les 25, 26 et 27 avril 2016, le “Casablanca Jewish Festival” est encore modeste, mais d'une portée symbolique riche de sens. A l'affiche : “Marocain, Juifs, des destins contrariés”, de Younès Laghrari, “L'orchestre de Minuit” de Jérôme Cohen-Olivar, et “Aïda la revenante” de Driss Mrini.

Organiser un “Casablanca Jewish Festival”, en voilà une bonne idée, pour rappeler la dimension plurielle qui a construit l'histoire et l'identité du Maroc, et permettre de combattre intelligemment l'oubli en faisant renouant les Marocains en mots, en images, voire même en musique, avec la mémoire de leurs racines...

“Tineghir-Jérusalem” projeté dans le cadre de la Biennale de Marrakech

C'est à Kamal Hachkar que l'on doit d'avoir rappelé au plus grand nombre l'importance des liens qui ont forgé l'âme et l'histoire du Maroc, à travers un documentaire dont le titre arborait fièrement ce rôle de trait d'union symbolique : “Tineghir-Jérusalem”. Défendeur inlassable de la tolérance et de la diversité culturelle, le jeune réalisateur, dont c'était là le premier opus, -un film nécessaire pour tout Marocain, mais qui, pour le Marocain exilé à sa naissance en France, était à la fois quête et soif de revenir aux sources mêmes des origines.

Le réalisateur n'a cessé depuis de parcourir le pays en tous sens, ainsi que le reste du monde, en projetant ce film autour duquel se créaient des espaces de débat chaque fois plus riches et plus intenses, participant activement au travail de sensibilisation des esprits. C'est bien le propre du documentaire que d'apporter cet éclairage et cette vision sensible de la réalité : en la questionnant au-delà des apparences, en détruisant méthodiquement les préjugés, et en donnant la parole à ceux qui la vivent de l'intérieur. Mais à l'époque, le visionnage de “Tineghir-Jérusalem” lors de la 14ièmeédition du Festival National du film de Tanger avait fait grands remous en suscitant l'ire des islamistes. Et Kamal Hachkar avait fait l'objet de violentes attaques de leur part. Une manifestation s'était même tenue le 5 février 2015 dans les rues de Tanger contre la projection du documentaire, comme si il était possible de se nier soi-même, en niant l'histoire tissée depuis des siècles au coeur du pays, entre juifs marocains et musulmans marocains...

Selon le quotidien “Akhbar al-Youm”, le ministre de la Communication, Mustapha Khalfi, qui était porte-parole du gouvernement islamiste, n'avait, à l'époque, pas souhaité prendre position, évoquant un “devoir de réserve (...) en tant que ministre”. Le temps a fait son oeuvre : “Tineghir-Jérusalem” est projeté ce 13 avril dans le cadre de la Biennale Internationale des Arts de Marrakech.

Aujourd'hui plus que jamais, face aux positions intolérantes dont la violence gratuite et infondée remet en réalité en cause l'histoire même du Maroc, des petites lucarnes s'ouvrent ainsi, ici et là, dans le droit fil du message lancé par “Tineghir-Jérusalem”, pour redonner à ce sillon de mémoire toute sa valeur. C'est dans ce contexte que le“Casablanca Jewish Festival”, organisé par le Comité du SOC, propose la projection de 3 films dont les univers, qu'ils soient fictionnels ou documentaires, interrogent avec acuité des thématiques obsédantes.

Donner des réponses à l'Histoire...

Le 25 avril, “Marocains juifs, des destins contrariés” se penche sur les raisons historiques du départ “d'une des communautés constitutives du Royaume” qui a décidé de quitter définitivement son pays natal, et ce, en plusieurs étapes.” Le documentaire cherche à interroger le passé pour savoir “ce qui s'est passé pour qu'à des dates-clefs de l'histoire contemporaine au Maroc, des vagues d'émigration vident le pays de ses citoyens juifs”, alors qu'on sait bien de quelle manière les Juifs marocains, d’Abraham Serfaty à Edmon Amran El Maleh en passant par Simon Lévy, Serge Berdugo et André Azoulay, ont contribué à l’édification du Maroc post-indépendance.

 Le réalisateur Younès Laghrari, diplômé de l'ESRA, et Simon Skira, président fondateur de l'association d'amitié Israël-Maroc, mais également secrétaire général de la Fédération des Juifs du Maroc ainsi que de la Fédération séfarade en France, ont travaillé ensemble durant trois ans pour aboutir à ce film de 58 minutes. Pour Simon Skira, qui a quitté le Maroc en 1967, à l'âge de 15 ans, les liens avec le Maroc demeurent toujours “très forts”. Pour le jeune réalisateur, la raison de ce film tient au fait de devoir combler les trous de l'histoire et ses manques. C'est “parce qu'aucune réponse à mes questions ne se trouvait dans nos livres d’histoire”, que ma curiosité a été attisée”, a-t-il déclaré à ce sujet. Pour donner voix et sens à ces blessures secrètes et invisibles, le film s'est donc en premier lieu construit sur des témoignages de Marocains juifs du Maroc et de la diaspora (Israël, France), tout en étant enrichi par les explications d’historiens qui mettent en perspective le contexte historique de l’époque. Au-delà du rappel de ces liens consubstantiels, ce film porte aussi, manifestement, un message qui rappelle le devoir nécessaire de transmission au travers des générations : ce que celle de Simon doit léguer à celle de Younès...

Le mardi 26 avril, c'est “L'orchestre de Minuit” de Jérôme Cohen-Olivar, qui sera projeté en la présence du réalisateur. Même thème, abordé cette fois sous l'angle de la fiction, pour raconter non plus les raisons tragiques du départ, mais les questionnements liés au retour, au travers de la quête identitaire menée par le héros du film, (joué par Avishay Benazra) revenu sur les traces d'un passé nimbé de nostalgie. Un itinéraire sensible où se tisse l'écho douloureux de la perte brutale du père, que le fils se retrouve, dès l'ouverture du film, devoir enterrer, à celle de la déchirure inscrite dans la mémoire collective liée à l'arrachement au pays. Un récit où la musique incarne le corps fusionnel de ces deux mémoires, au travers de la résurrection de l'orchestre du grand musicien Marcel Botbol, dont le réalisateur Jérôme Cohen-Olivar s'est largement inspiré...

Dans le dernier film, “Aïda la revenante”, projeté le mercredi 27 avril, en la présence de son réalisateur, Driss Mrini, le rôle central de la musique, la confrontation nécessaire de la mémoire, et le message de la tolérance, sont également des thèmes essentiels aux fondements du récit. Le réalisateur a choisi d'évoquer le voyage d’Aïda Cohen (rôle jouée par Noufissa Benchehida), qui revient au bercail 40 ans après son départ, en étant atteinte d'un cancer. Interrogé par le journal “L'observateur du Maroc et de l'Afrique”, il déclare avoir voulu montrer“ que ce qui reste de la communauté juive au Maroc continue à exercer son culte en toute liberté, chez elle comme dans les synagogues et sur les tombeaux des nombreux saints juifs à travers le pays.” Message d’ouverture du Maroc sur toutes les religions et toutes les cultures, ce film à petit budget avait néanmoins été remarqué, et notamment pré-sélectionné aux Oscars 2016.

Des liens transcendés par un rapport fusionnel commun à la musique

Comme pour “L'orchestre de Minuit”, la musique se révèle, là encore, symbole de cette“mosaïque confessionnelle et culturelle”, selon les mots de Driss Mrini, dont il souligne qu'elle “fait la particularité et la richesse de l’identité marocaine.” D'où la présence à l’écran du maâlem gnaoui Hamid Kasri, de la chanteuse de melhoun et de gharnati Sanaa Marahati ou encore, de la chorale judéo-arabo-andalouse, Kinor David de Casablanca...

“Dans “Aïda”, ajoutait le réalisateur, « la musique andalouse transcende les frontières sociales et religieuses, elle est le ciment fédérateur entre la famille Cohen et la famille Alami, à laquelle appartient l’ami d’enfance d’Aïda. C’est la passion commune pour cet art qui réunit de nouveau les protagonistes, aide Aïda à vaincre son cancer et Youssef, sa maladie psychosomatique liée justement à son abandon de la musique au profit de sa carrière d’architecte. Nous sommes tous égaux face à la maladie et à la mort, quelle que soit notre religion, notre origine ou notre couleur de peau. Or, la musique est une thérapie que l’on néglige souvent comme on néglige les signaux d’alarme que nous lance notre corps pour nous avertir de notre mal-être psychique...” 

Voilà donc trois beaux films à l'affiche de cette première édition du “Casablanca Jewish Festival” au SOC, marqués chacun par le désir de réparer les blessures du passé, de restituer une mémoire mutilée par les blancs de l'histoire, et de réinscrire organiquement les blessures individuelles de ceux qui en ont traversé et vécu les aléas, dans la chair vivante de la création artistique marocaine...

14 avril 2016, Lamia Berca-Berrada

Source : Portail des Marocains du monde

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