samedi 23 novembre 2024 20:33

La formation professionnelle, vecteur d’intégration des migrants au Maroc : Louable initiative, mais qui a du mal à aboutir

Dans sa nouvelle politique d’immigration et d’asile, le Maroc a lancé plusieurs programmes destinés aux migrants pour leur permettre d’accéder à la formation professionnelle et leur faciliter l’accès au marché de l’emploi.  En effet, assurer une meilleure intégration pour les migrants passe nécessairement, entre autres,  par la garantie d’une formation professionnelle et un accès au marché du travail. 

Pourtant,  entre la bonne volonté des concepteurs de ces programmes et le vécu quotidien des migrants installés ou en transit au Maroc, la différence est de taille.  En effet, ces programmes  sont peu connus, peu suivis et faiblement financés. Un grand nombre de migrants sans ressources semblent avoir d’autres priorités : assurer d’abord leur survie avant de partir pour l’Europe. 

A ce sujet, Libé a suivi l’expérience menée depuis deux ans au Centre de formation de l’Entraide nationale  au quartier populaire d’Akkari à Rabat où 22 migrants subsahariens étaient inscrits. 

Ousmane, 17 ans, de Guinée-Conakry, a l’air concentré et intéressé, en suivant la moindre explication de son professeur. Le bruit assourdissant d’une machine installée à l'autre bout de la salle ne semble guère le distraire.  « Chaque cylindre est fermé par une culasse munie d'au moins deux soupapes », a lancé le professeur de mécanique à une vingtaine d’apprentis de première année regroupés autour de lui.  Comme ses collègues marocains,  il découvre, explore et se familiarise avec ce nouveau monde.  « Je suis au Maroc depuis cinq mois au cours desquels j’ai essayé de trouver un travail mais en vain.  J’ai découvert cette formation par le biais de Caritas qui m’a inscrit aux cours de mécanique », nous a-t-il raconté, avec un sourire lumineux sur les lèvres. 

Pourtant, Ousmane n’est pas le seul à suivre ces cours de formation. Ils sont 22 migrants, de diverses nationalités, qui apprennent la menuiserie, l’électricité,  la mécanique ou autres métiers dans les ateliers de ce centre. Les jeunes filles sont en nombre plus important que les garçons. Elles sont inscrites souvent dans des ateliers de pâtisserie et de coiffure.  Kaba, 18 ans, lui aussi est un collègue et compatriote d’Ousmane. « C’est ma première année au centre. Moi aussi j’ai découvert ce lieu grâce à Caritas. Jusqu’à présent, les choses  se passent plutôt bien. On comprend les explications fournies par les professeurs et on apprend de nouvelles choses. Les enseignants nous respectent et nous traitent bien », nous a-t-il confié. 

Apprendre à pêcher plutôt que donner du poisson 

La délégation de l’Entraide nationale a ouvert ses portes aux migrants en quête de formation professionnelle il y a deux ans. Les cours sont gratuits et sont validés par une attestation ou un diplôme après une année ou deux d’apprentissage. Rabat abrite trois centres. Outre celui de Akkari, on compte un au quartier  Youssoufia et un autre à Salé Karia. 

Au centre de Akkari, nombreux sont les migrants inscrits aux cours de mécanique des voitures et d’électricité de bâtiments. Ces cours sont dispensés en deux temps : cours théoriques  donnés au centre pendant trois mois et pratiques effectués au sein des entreprises. Ils sont souvent dispensés en français. Pour les anglophones, on a prévu des séances d’apprentissage de la darija.   
« Les centres sont ouverts à tous les migrants, qu’ils soient réguliers ou irréguliers. On a même prolongé l’âge d’admission de ces migrants jusqu’à la quarantaine contre 30 ans pour les Marocains », nous a indiqué Kettani Mohamed Hakam, responsable des dossiers migration au sein de l’Entraide nationale.  Et de poursuivre : « On a souvent affaire à des personnes qui ne disposent pas de diplôme ni de documents administratifs prouvant leurs acquis scientifiques. Généralement, on procède à un test d’évaluation dans nos ateliers et c’est une commission spéciale qui doit déterminer leur niveau. Ceux qui n’ont pas de diplôme ni de qualification sont versés directement au niveau apprentissage ». 
Dans l’atelier, l’ambiance est détendue. Les apprentis  prennent tout leur temps. On leur permet l’essai et l’erreur tout en tolérant n’importe quelle question, même la plus saugrenue. Deux migrants ont réussi jusqu’à présent à décrocher un contrat de travail et d’autres promesses d’embauche ont été données. En fait, les entreprises marocaines cherchent cette main-d’œuvre migrante pour son sérieux et son sens du travail. «En premier lieu, il y avait les réticences des chefs d’entreprise. Pour eux, l’embauche des migrants risque bien de leur poser des problèmes vis-à-vis des pouvoirs publics. Mais de telles inquiétudes ont été vite dissipées après les garanties assurées par  les contrats signés avec eux », nous a déclaré Kettani Mohamed Hakam. 

A ventre creux, esprit obnubilé 

Pourtant, malgré la bonne volonté et l’engagement des responsables de l’Entraide nationale, peu nombreux sont les migrants qui sont informés de l’existence de ce dispositif de formation. « Il y a un problème de sensibilisation et d’information. Seule une minorité s’est fait une idée sur les services offerts par l’Entraide nationale. On a contacté plusieurs associations pour faire le relais auprès de ces migrants au niveau de Rabat, mais également à Oujda, Fès, Meknès, Tétouan et Tanger », nous a expliqué Kettani Mohamed Hakam. Et d’ajouter : « Cette année, on a entamé via nos assistantes sociales une campagne de communication auprès des migrants pour leur expliquer le programme en détail». 
Mais, il n’y a pas que le volet information et communication qui pose problème. Les conditions de vie de ces migrants et le manque de moyens financiers n’incitent guère certains d’entre eux à s’engager et s’investir dans une telle formation. « Sur les 27 migrants inscrits lors du démarrage de ce programme, seuls 22 candidats sont restés. Ceux qui se sont désistés, c’était pour des raisons financières.  Ils n’avaient pas de quoi payer les frais de transport et ils ont attendu des subventions de notre part pour couvrir ces frais. En réalité, la plupart d’entre eux vivent loin à Tamsana, à Témara ou dans des zones éloignées de Akkari », nous a expliqué Mohamed Kettani Hakam. Et d’ajouter :  Ceci d’autant plus que nos centres accueillent souvent des migrants qui débarquent au Maroc après un long et pénible voyage. Ils sont souvent  épuisés moralement et marqués dans leurs corps et esprits. Victimes de violence, de viol ou de mauvais traitements, ils ont perdu confiance et semblent incapables  de s’intégrer socialement ».   

Ibrahim Kourichya, Libérien de 27 ans, en sait quelque chose. « Je suis au Maroc depuis deux ans et demi et j’ai entendu parler des cours dispensés par l’Entraide nationale par certains compatriotes migrants. Beaucoup d’entre nous se sont inscrits mais ils ont dû arrêter au bout d’un certain temps faute de moyens.  La plupart d’entre nous  n’ont pas de quoi assurer les frais de transport, encore moins de se nourrir et de se loger », a-t-il témoigné.  Et de poursuivre : « Nous avons souvent l’esprit ailleurs pendant les cours. Nous pensons à comment rentrer chez nous et quoi manger sachant que beaucoup d’entre nous ne mangent pas à leur faim. Si certains d’entre nous prennent leur mal en patience,  d’autres n’en peuvent plus». 

Même les 200 DH qu’Ibrahim Kourichya touche par semaine au sein de l’atelier où il fait son stage actuellement, restent selon lui, une somme dérisoire qui ne peut survenir à ses besoins.  « On sèche souvent les cours pour aller chercher de quoi vivre. C’est vrai qu’on a pris bien des choses grâce à cette formation, mais la réalité est dure », a-t-il lancé. 

Une situation qui est appelée à durer davantage puisque Caritas et AMP offrent des aides en matière de logement et de nourriture uniquement aux migrants mineurs non accompagnés ou aux réfugiés mineurs. Les moyens financiers très limités de l’Entraide nationale rendent la situation des plus complexes. Le programme d’apprentissage destiné aux migrants a été initié sans augmentation des subventions de l’Entraide nationale. La formation d’un migrant apprenti coûte 9.000 DH par an au même titre qu’un Marocain. Cette somme englobe le matériel, la matière première, l’assurance et les subventions accordées aux entreprises qui sont de l’ordre de 250 DH par apprenti. « Il n’y a que les subventions de l’Etat et nous ne disposons pas de fonds propres. En effet, les ressources de l’Entraide nationale sont constituées essentiellement des subventions annuelles de l’Etat et des taxes parafiscales instituées à son profit. Quant à nos partenaires, ils n’octroient  pas de fonds mais plutôt du matériel ou autre », nous a précisé Kettani Mohamed Hakam.   

Les femmes migrantes ne s’engagent pas trop non plus dans cette formation. Elles sont souvent seules avec enfants. Leurs préoccupations,  c’est d’abord de survivre et de subvenir aux besoins de  leurs enfants. Ceci d’autant plus qu’il n’y a pas de crèches pour la garde des enfants durant leur formation. A cela s’ajoute le fait qu’il n’y a pas d’associations assurant les frais de transport  pour ces femmes. « Il y a peu d’associations qui assument cette tâche mais avec des ressources limitées, tel est le cas de Médecins du monde Belgique qui payent des cartes de bus mais seulement pour quelques-unes. Il y avait des subventions de la part du ministère des MRE et des Affaires de la migration accordées à l’Entraide nationale et à quelques associations pour renforcer les capacités de ces femmes pour l’accès à la formation. Il s’agit de fonds pour couvrir les frais de transport et l’achat de matériel destiné à la formation, mais l’expérience a tourné court, car ces associations n’ont pas pu établir des relations de confiance avec ces migrantes », nous a confié une source associative sollicitant l’anonymat. 

Partir vers l’Europe, la hantise 

Ousmane et Kaba n’ont pas ce problème pour l’instant. Ils font partie des jeunes Guinéens arrivés en masse au Maroc fin 2014 et qui étaient accueillis par le centre de Caritas à Rabat. Pourtant, si Oussama compte rester au Maroc après sa formation, son compatriote n’hésite pas à afficher son désir de quitter le Royaume dès que possible. « Tôt ou tard, je pars vers l’Europe », nous a-t-il lancé sans hésitation. 

Kaba n’est pas le seul à exprimer un tel souhait. Nombreux sont ceux qui attendent la première occasion pour partir. Pour eux, le Maroc n’est qu’une étape provisoire, un point de passage vers l’Europe et l’accès à la formation n’est pas prioritaire. « Il y a des personnes qui sont là uniquement pour passer à l’autre rive de la Méditerranée et qui s’en fichent du reste. Plusieurs d’entre eux jurent leurs grands dieux qu’ils comptent rester au Maroc mais à la première occasion, ils plieront bagage et s’en iront », nous a expliqué Mohamed Kettani Hakam. Et de conclure : « Il n’y a pas de stabilité, ces migrants sont toujours en mouvement. Cela empêche tout engagement à long terme et remet souvent en cause la continuité de ces programmes ». 

12 Novembre 2016, Hassan Bentaleb

Source : Libération

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