Les candidats à la primaire présidentielle de la droite sont divisés sur la suppression du droit du sol au profit du seul droit du sang. Seuls Jean-François Copé et Jean-Frédéric Poisson veulent le supprimer, tandis que Nicolas Sarkozy entend en durcir drastiquement les conditions.
En 2015, 113 608 personnes ont acquis la nationalité française, essentiellement par décret de naturalisation (58 858), par mariage avec une Française ou un Français (25 044) et par le droit du sol (25 889). Le principe du droit du sol est qu’un enfant né en France de deux parents étrangers est de plein droit Français à sa majorité, à condition qu’il réside en France à cette date et qu’il y ait eu sa résidence habituelle pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de onze ans. Cette acquisition se fait automatiquement, sans aucune formalité.
L’enfant né en France de deux parents étrangers peut néanmoins acquérir la nationalité française avant sa majorité. Soit entre 16 et 18 ans sur sa demande personnelle, avec les mêmes conditions de résidence. Soit entre 13 et 16 ans à la demande de ses parents, la condition de résidence en France devant alors être remplie à partir de l’âge de huit ans.
Le droit du sol possède une forte dimension symbolique, puisqu’il s’agit de l’une des questions qui séparent la gauche (droit du sol automatique), la droite (non-automaticité du droit du sol) et l’extrême droite (abrogation du droit du sol). La droite a tenté de restreindre le droit du sol en 1986 (rapport de la commission présidée par Marceau Long), avant d’y parvenir en 1993 (loi Méhaignerie-Pasqua). Cette réforme a toutefois été annulée par la gauche en 1998 (loi Guigou).
Depuis, la droite n’a plus touché au code de la nationalité, ni sous les mandats de Jacques Chirac ni sous celui de Nicolas Sarkozy. La campagne pour la primaire présidentielle a relancé le débat.
Les « pour »
Le Front national est le seul parti à prôner l’abrogation pure et simple du droit du sol, autour du slogan « être français, cela s’hérite (droit du sang) ou cela se mérite (naturalisation) ». Mais deux candidats à la primaire présidentielle de la droite, Jean-Frédéric Poisson et Jean-François Copé, portent également cette rupture avec la tradition républicaine depuis 1889.
Jean-Frédéric Poisson, qui concourt au nom du Parti chrétien-démocrate, affirme qu’il n’a « jamais varié sur cette idée » et souhaite « instaurer le droit du sang ». Il s’agit surtout d’une manière de dire qu’il veut supprimer le droit du sol, puisque le droit du sang existe déjà : est bien entendu Français à la naissance tout enfant né en France ou à l’étranger dont l’un au moins des parents est Français.
« Il faut enfin se donner les moyens d’endiguer le flux que nous ne savons pas gérer, et il est temps de protéger la France d’une communautarisation croissante et conflictuelle, argumente-t-il dans une tribune publiée sur le site Boulevard Voltaire. Il faut cesser de mentir : ces étrangers ne peuvent devenir Français sans rien changer à leurs habitudes et sans inscrire leurs enfants dans la longue histoire qui est celle de notre pays. Un papier ne suffit pas ! » Cet argumentaire visant les 26 000 bénéficiaires du droit du sol rejoint celui de l’extrême droite contre les « Français de papier ».
La campagne pour la primaire a aussi été l’occasion pour Jean-François Copé de se rallier à l’idée de « supprimer le droit du sol pour lui substituer une nationalité d’adhésion », afin que « la naissance sur le sol français, que ses parents soient ou non nés sur le sol français, n’emporte plus droit à la nationalité française ». Contrairement à Jean-Frédéric Poisson, il ne défend pas tant cette idée pour favoriser l’assimilation qu’en raison d’une question de principe. « Devenir Français se veut et se mérite, plaide le maire de Meaux. Ce ne peut pas être le fruit du hasard ou d’un effet d’aubaine, mais la conséquence de l’aspiration à participer à un vouloir vivre collectif. »
Concrètement, il s’agirait donc d’une naturalisation subordonnée à « une volonté manifestée dans une demande expresse et motivée », « une volonté attestée par un comportement (durée de résidence régulière, absence de casier judiciaire…) » ainsi qu’« une volonté appréciée à l’occasion d’un entretien avec le demandeur ».
Les « contre »
Les autres candidats à la primaire ne désirent pas abroger le droit du sol. « On ne rejette pas son histoire », affirmait François Fillon, en juin 2015, dans Le Monde. « La tradition française, c’est à la fois le droit du sang et le droit du sol. Je ne souhaite pas remettre en cause cet équilibre », avait répondu Alain Juppé, en septembre 2015, au questionnaire de son parti sur le sujet. Même réponse pour Nathalie Kosciusko-Morizet : « Le droit du sol doit rester la règle. Il fait partie de notre identité. Et il ne se divise pas. »
Tous sont pourtant disposés à le restreindre, de façon certes plus ou moins large, à l’exception apparemment de Bruno Le Maire, qui ne l’évoque pas dans les 1 012 pages de son « contrat présidentiel ». François Fillon se contente de proposer un retour à la réforme Méhaignerie-Pasqua de 1993 : « Pour accéder à la nationalité française, un jeune né en France de parents étrangers devra en faire le choix à sa majorité. Ce ne sera plus automatique. » En réalité, c’est déjà massivement le cas dans les faits : sur 25 889 personnes ayant bénéficié en 2015 du droit du sol, 24 159 (93 %) ont formulé une demande anticipée entre 13 et 18 ans, seuls 1 730 (7 %) ayant acquis automatiquement la nationalité française à leur majorité.
En réponse au même questionnaire, Alain Juppé acceptait que l’État s’oppose à l’acquisition de la nationalité française par le droit du sol « en cas de condamnation pénale et évidemment pour des actes de terrorisme ». Idem pour Nathalie Kosciusko-Morizet, « en cas de condamnation pour les actes de terrorisme ou de délinquance lourd (prévoir une durée minimale de condamnation) », avec cependant cette précision : que ce soit « sous contrôle judiciaire, comme peine complémentaire ».
Allant beaucoup plus loin, Nicolas Sarkozy entend conserver le droit du sol en tant que « présomption de nationalité française », sauf « si l’intéressé s’est livré à des activités terroristes ou à des actes de délinquance » ou « si les parents sont en situation irrégulière au moment de la naissance ». Alain Juppé adhère partiellement à cette idée, exigeant seulement « la régularité du séjour d’au moins l’un des deux parents au moment de la naissance ». Sans convaincre Nathalie Kosciusko-Morizet, aux yeux de qui « cela reviendrait à laisser vivre et grandir, en France, des enfants avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête alors qu’eux-mêmes se vivent comme Français ».
16/11/2016, Laurent de Boissieu
Source : La Croix