Au moment où l’Allemagne s’enflamme à son tour sur la question de l’immigration, la déclaration samedi de la chancelière allemande Angela Merkel selon laquelle le modèle multiculturel allemand a « totalement échoué », sonne comme un aveu d’impuissance du vieux continent à bâtir un modèle multiculturel. La question est d’autant plus sensible que, renouant avec ses vieux démons, l’Union Européenne doit faire face à une poussée générale de xénophobie et d’islamophobie.
Aujourd’hui, c’est bien la question du vivre ensemble qui est posée. Capacité mais surtout ,volonté à le faire. La question n’est pas anecdotique. L’avenir européen sera largement dépendant de la qualité de la réponse apportée.
Continent vieillissant et déclinant , la tentation du repli marquerait inéluctablement la fermeture anticipée d’une parenthèse historique où l’Europe était un acteur central de la planète.
Les difficultés actuelles au vivre ensemble ne doivent pas pour autant être écartées d’un revers de main. Il convient de regarder sans tabou la situation présente. Derrière une apparente brutalité, la chancelière du plus puissant pays de l’UE pose les éléments du débat.
Dans un discours prononcé devant le congrès des jeunes de son parti, Angela Merkel a avancé que les politiques destinées à faire coexister des populations aux origines culturelles différentes sans chercher à les intégrer n’avaient pas fonctionné. Dans le même temps, la chancelière a indiqué que l’Allemagne manquait de main-d’oeuvre qualifiée et ne pouvait se passer d’immigrants.
Confrontée à un déclin démographique préoccupant , notre voisin d’outre-Rhin aurait besoin selon les dernières estimations d’environ 400 000 travailleurs qualifiés pour faire tourner son économie. On ne peut pour autant dans une vision ultra-libérale, réduire les immigrés à de la simple main-d’oeuvre d’appoint et écarter la question de leur intégration dans leur pays d’accueil.
Maladroitement, la chancelière allemande a insisté sur le fait que les immigrants doivent s’intégrer et adopter la culture et les valeurs allemandes. Elle a surtout restreint son approche à une vision économique en déclarant que, selon elle, les nouveaux arrivants doivent apprendre l’allemand afin de profiter du système scolaire et de trouver leur place sur le marché de l’emploi.
Cette question de la diversité qui fait douter l’Europe sur sa capacité d’intégration a fait l’objet d’une analyse pertinente d’Augustin Landier et David Thesmar dans un article publié dans Les Échos sous le titre “Diversité ou solidarité : le dilemme inavouable de l’Europe“.
Les auteurs relèvent que la problématique de la diversité ne concerne pas seulement les migrants mais touche aussi, à l’image de la Belgique la stigmatisation des communautés du cru : “Ce que les Flamands reprochent aux Wallons, ce n’est pas de parler français, mais de bénéficier d’une protection sociale généreuse financée par leurs impôts. Les Italiens du Nord ne sont pas hostiles au mode de vie flegmatique de leurs compatriotes du Sud, mais ils ne veulent pas les subventionner“.
Dans une période marquée par un fort taux de chômage, une dégradation endémique des finances publiques en général et des comptes sociaux en particulier, la question gagne en sensibilité. Augustin Landier et David Thesmar nous mettent nous Français face à une réalité dérangeante : “on ne peut pas avoir un niveau de redistribution à la suédoise et une diversité à l’américaine“.
Rebondissant sur le sujet Brice Couturier co-animateur avec Julie Clarini de l’émission Du grain à moudre sur France Culture rappelait le 28 septembre dernier que la grande revue intellectuelle britannique Prospect consacrait son numéro d’octobre au thème du facteur racial.
Brice Couturier livrait notamment l’analyse de David Willets dans ce que ce dernier résume comme “le dilemme progressiste“. Pour le ministre des universités de David Cameron, “si vous voulez prélever des niveaux élevés d’impôts et de cotisations sociales et les redistribuer en prestations, vous devez vous assurer que la plupart des gens pensent que les bénéficiaires seront des gens comme eux, confrontés à des difficultés qui pourraient leur arriver à eux aussi.” L’homme politique britannique ajoute “vous pouvez avoir un État providence puissant si vous êtes dans une société homogène avec des valeurs communes intensément partagées” (…) “les progressistes voudraient de la diversité mais par là, ils nient le consensus sur lequel repose un État providence généreux.”
Il reste donc à l’Europe qui se singularise du reste du monde par la qualité de son État providence de faire émerger un modèle d’intégration efficient. Là aussi, droite et gauche devront, d’ici 2012, clarifier leur position sur le sujet.
17 Octobre 2010
Source : Mediapart