samedi 23 novembre 2024 10:19

Immigration : Merkel vire sa «Multikulti»

En reprenant les thèmes contre le multiculturalisme, la chancelière allemande veut contenir son aile droite.

Le débat hystérique sur la place de l’islam en Allemagne et sur l’intégration des étrangers continue à faire des vagues outre-Rhin. Pour calmer la dérive populiste de certains responsables conservateurs qui veulent limiter «l’immigration massive» turque et arabe, Angela Merkel a durci le ton. Elle a décrété la mort du «multiculturalisme» (lire également p. 19), un projet de société, associé à la gauche, où les cultures cohabiteraient pacifiquement. La chancelière n’a pu que garantir aux ultras le primat de la culture allemande en Allemagne. Elle sait en effet que son pays, pour des raisons économiques et démographiques, ne peut se passer des immigrés, quelle que soit leur origine.

«Fourre-tout». La publication récente de statistiques officielles confirme les positions de la chancelière et montre que la thèse selon laquelle l’Allemagne fait face à une «immigration massive» est fausse. En 2009, l’Allemagne a enregistré 721 000 arrivées, principalement des Polonais et des Roumains, contre 734 000 départs, soit un solde négatif de 13 000 personnes (56 000 en 2008). «Mme Merkel a pris la mesure du danger. Elle essaye de prendre le contrôle du débat et de réunir une aile droite bavaroise qui a peur de voir apparaître un parti populiste concurrent, comme c’est le cas en France avec l’UMP et le Front national, et une aile plus modérée et libérale», explique Henrik Uterwedde, directeur adjoint de l’institut franco-allemand de Ludwigsburg : «Son attaque sur le multikulti était exclusivement destinée à satisfaire sa clientèle conservatrice. Le multikulti est un concept fourre-tout que la droite allemande a collé à la gauche et qu’elle utilise comme un chiffon rouge», précise-t-il.

Suivant la ligne d’attaque adoptée par la chancelière, les ministres de l’Economie, de l’Education, de l’Emploi et des Affaires sociales ont annoncé dès lundi un train de mesures concernant, d’une part, le renforcement du «devoir d’intégration», comme l’obligation de suivre des cours d’allemand sous peine de sanctions et, d’autre part, l’ouverture plus large des portes de l’Allemagne, mais seulement pour une «clientèle» triée sur le volet. Annette Schavan, ministre de l’Education, a pour sa part présenté un projet de loi qui doit faciliter la reconnaissance des diplômes étrangers. Et la très populaire Ursula von der Leyen, ministre de l’Emploi et des Affaires sociales, a précisé que les travailleurs des pays arabes et musulmans étaient les bienvenus, «pourvu qu’ils maîtrisent la langue, qu’ils aient une profession et un niveau de qualification dont nous avons besoin et qu’ils soient prêts à s’engager pour l’Allemagne». Les mesures évoquées seront approfondies dans des groupes de travail auxquels le chef des conservateurs bavarois a été aimablement convié. Par ailleurs, un Sommet national de l’intégration aura lieu le 3 novembre.

Le hasard du calendrier faisant bien les choses, l’offensive «intérieure» lancée par Angela Merkel est épaulée de l’extérieur par le président de la République fédérale, Christian Wulff, qui effectue une visite officielle de quatre jours en Turquie. En déclarant le 3 octobre que «l’islam fait évidemment parti de l’Allemagne», le chef de l’Etat a provoqué la rébellion populiste des conservateurs bavarois. Le président allemand en a profité pour rappeler que c’est une erreur «de prétendre qu’un groupe entier ne peut et ne veut s’intégrer». Sa position et celle de Mme Merkel sont renforcées par les déclarations du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a récemment appelé ses compatriotes installés en Allemagne à apprendre l’allemand et à tout faire pour s’intégrer. Enfin, Mme Merkel a reçu le soutien des patrons allemands, qui s’inquiètent de plus en plus de la tournure du débat : «Nous avons un besoin urgent de migrants qualifiés venant de tous les coins du monde», a affirmé le président des chambres de commerce et d’industrie allemandes, Hans Heinrich Driftmann, en demandant que l’Allemagne s’engage à développer une «culture de la bienvenue».

Discours. Pendant que la droite bataille, la gauche allemande affiche une certaine réserve : «Sur la question de l’immigration, la droite n’hésite pas à taper du poing sur la table et à être politiquement incorrecte, elle est moins gênée que la gauche, dont une partie de l’électorat n’est d’ailleurs pas hostile à une limitation de l’immigration», explique Henrik Uterwedde, pour qui la ligne qui partage les populistes et les autres ne correspond pas au traditionnel clivage gauche-droite. La gauche allemande a ainsi salué le discours du 3 octobre du Président, membre éminent du parti conservateur. Et c’est le parti social-démocrate et les Verts qui ont été les premiers à créer, sous Schröder, les fameux parcours d’intégration sur lesquels le gouvernement Merkel s’appuie aujourd’hui : «Le SPD et les écologistes sont pragmatiques et plutôt proches des positions de Merkel. Quant à la gauche radicale, on ne l’entend presque pas, probablement parce qu’elle ne veut pas froisser son électorat de l’Est, qui n’a pas une grande habitude des étrangers.»

Source : Libération.fr

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