Une enquête Ined-Insee sur «la diversité des populations en France», indique que si 89% des enfants de naturalisés se sentent français, ils sont 37% à ne pas se sentir reconnus comme tels.
Pas facile de se sentir français lorsqu’on est d’origine immigrée. Les chercheurs de l’Institut national des études démographiques (Ined) parlent même d’un «sentiment d’exclusion du corps de la nation». En clair, à force de subir du racisme et des discriminations, les immigrés et leurs descendants ne se sentent pas reconnus comme des Français à part entière. Ces données sur le sentiment national chez les Français d’origine immigrée (personnes nées à l’étranger) et chez ceux issus de l’immigration (dont les parents sont nés à l’étranger) figurent dans l’enquête Trajectoires et origines (TeO) sur «la diversité des populations en France»,menée conjointement par l’Ined et l’Insee, dont une nouvelle vague de conclusions a été rendue publique hier.
«Francité». Sur le papier, 42% des immigrés sont pourtant français, et 97% de leurs descendants nés en France. Par ailleurs, 20% seulement des premiers et un tiers des seconds ont une double nationalité. Dans leur grande majorité, ils sont donc exclusivement français. Et pourtant, «parmi les immigrés ayant acquis la nationalité française, la moitié partagent ce sentiment de ne pas être perçus comme des Français», signalent les chercheurs de l’Ined. Quant à leurs descendants, «bien que de nationalité française, ils sont 37% à ne pas se sentir reconnus comme des Français». Ceux qui se sentent le mieux reconnus sont les Français d’origine subsaharienne, puis marocaine, tunisienne, algérienne et turque. En queue de peloton, les Français originaires d’Asie du Sud-Est. 32% d’entre eux seulement ont le sentiment que la société les considère comme des Français à part entière. Mais ces immigrés et ces descendants d’immigrés se sentent-ils, eux-mêmes, Français ? «Le fait de vivre en France crée un sentiment d’appartenance plus ou moins actif selon son histoire, son éducation, ses références, son milieu social, etc., observent les chercheurs. Inversement, avoir la nationalité française ne détermine pas nécessairement le rapport à la "francité".»
Schizophrénie. A en croire les chiffres de l’Ined, les immigrés naturalisés français et leurs descendants ont pourtant très majoritairement le «sentiment d’être français». A 82% pour les premiers, à 89% pour les seconds. Pas rancuniers, les immigrés d’Asie du Sud-Est seraient les plus cocardiers. Est-ce facile de se dire français quand la société vous conteste cette qualité ? Sans doute pas. Or, cette schizophrénie risque de s’accentuer, le gouvernement s’apprêtant à modifier profondément le droit de la nationalité, que ce soit à travers la dénaturalisation pour les assassins de policiers ou la remise en cause du droit du sol, sur laquelle une mission constituée par Nicolas Sarkozy devrait bientôt plancher. Les autres conclusions confirment ce que l’on savait déjà. En fin de collège, les garçons issus de l’immigration - à l’exception de ceux originaires d’Asie du Sud-Est - sont davantage orientés vers des filières plus courtes et moins valorisées que l’ensemble de la population.
Ils se caractérisent également par une plus forte proportion de décrochage scolaire. A l’inverse, les filles d’immigrés accèdent plus souvent aux filières longues générales que les filles de la population majoritaire. Les garçons en retirent un sentiment d’injustice face à ce qu’ils ressentent comme des «discriminations ethno-raciales».
Les inégalités entre les Français issus de l’immigration et l’ensemble de la population se retrouvent dans l’emploi. «En moyenne, les actifs immigrés ont un taux de chômage plus élevé que les actifs de la population majoritaire.» Et, pour leurs enfants, la situation est pire : «Le taux de chômage des descendants d’immigrés dépasse celui des immigrés de même origine.»
Décote salariale. Passée la barrière de l’embauche, les immigrés et leurs descendants subissent également des discriminations salariales. «Le salaire horaire des hommes immigrés venus d’Algérie est en moyenne de 13% inférieur à celui des salariés de la population majoritaire». Quant à leurs enfants, «la décote salariale apparaît souvent supérieure à celle des immigrés de même origine».
Malgré ces écarts de situation avérés, les immigrés se plaignent relativement peu des discriminations. A la question «pensez-vous qu’en France, certaines personnes subissent des traitements inégalitaires ou des discriminations à cause de leur origine ou de leur couleur de peau ?»,ce sont les Français non issus de l’immigration qui sont les plus alarmistes. Concernant le racisme, un tiers des immigrés et de leurs descendants déclarent l’avoir subi. Plus inquiétant, parmi ceux qui ont été épargnés jusque-là, 30% affirment s’y «sentir exposés».
Source : Libération.fr