Partout en Europe, l'immigration est un sujet polémique. En France, le discours politiquement correct interdit l'évocation de problèmes spécifiquement liés aux enfants et petits-enfants d'immigrés : ils sont français, et toute recherche allant au-delà de ce constat cache nécessairement des intentions troubles. Cette conception se heurte à un sentiment populaire qui s'exprime parfois par des réactions racistes, mais le plus souvent par des conduites individuelles créatrices de ségrégation -on le constate aussi bien dans le logement ou dans le choix de l'école que dans le monde du travail. Pour rendre compte de ce malaise, Philippe d'Iribarne, qui trace depuis longtemps un chemin original dans la sociologie contemporaine, commence par distinguer deux conceptions de la société démocratique. D'un côté, c'est un « corps politique », uniquement défini par l'égalité de tous les citoyens devant la loi et les institutions publiques. De l'autre, c'est un « corps social », dont les membres présentent une grande diversité de capacités, de richesses, de statuts, de croyances, d'affinités… L'histoire des démocraties est marquée par la concurrence entre ces deux visions : face à la rigueur abstraite de la première, comment traiter les différences et les particularismes ? La France républicaine avait réalisé un équilibre acceptable entre l'affirmation de la citoyenneté et une « sphère privée » tenue à une certaine discrétion, mais ce compromis vole aujourd'hui en éclats, sous l'effet de deux forces.
« Une laïcité éxigeante »
La première est la progression constante, depuis la Révolution, de la conception égalitaire et universaliste du « corps politique » : élargissement du suffrage universel, action unificatrice de l'école, édification de l'Etat providence… Or, depuis quelques années, cet universalisme a changé de contenu : ce n'est plus la victoire progressive de la « raison »« assimilation », objectif consensuel à l'époque des grandes vagues migratoires du passé, est frappée d'une sorte de tabou : la société multiculturelle ne peut être qu'une juxtaposition de communautés. sur les particularismes archaïques, mais au contraire la sacralisation des différences et la célébration du multiculturalisme. Le nouveau « politiquement correct » prend appui sur la tradition égalitariste (les mêmes droits pour tous) et élargit son champ aux domaines moraux, éducatifs et culturels. Le lecteur peut difficilement ne pas voir, à l'origine de cette évolution, un changement de nature de l'immigration. L'
Ce modèle a été adopté par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui en ont aussi constaté les limites. La fin du livre montre qu'il est inconcevable en France, pour des raisons aussi bien morales (peut-on, notamment, fermer les yeux sur le statut des femmes ?) que pratiques (comment concilier des systèmes éducatifs ou juridiques hétérogènes ?) ou politiques (quelle solidarité entre les communautés ?) L'auteur, en conclusion, se place du côté de « la tradition française, qui veut que tous se mêlent et soient solidaires, sans souci de leurs origines, dans un espace public marqué par une laïcité exigeante » : une formule qui devrait suffire à définir notre « identité nationale ».
Source : Les Echos