Le flou entourant la pratique du renvoi d'étrangers condamnés en Suisse commence à se dissiper. L'enquête demandée par la Commission fédérale pour les questions de migration montre que les renvois augmentent et que la pratique s'harmonise.
Les débats, tant au Parlement que dans le public, sur l'initiative «pour le renvoi des étrangers criminels», ne s'appuient pas sur des données claires et fiables, a expliqué hier Francis Matthey. La Commission fédérale pour les questions migratoires (CFM), qu'il préside, a chargé le Forum suisse pour l'étude des migrations et le Centre de droit des migrations à l'Université de Neuchâtel de mener l'enquête auprès des cantons, compétents pour les renvois. Les résultats ont été présentés hier.
Combien renvoie-t-on d'étrangers?
Plusieurs milliers par an, répond l'enquête. En précisant qu'il s'agit, pour la grande majorité, de requérants d'asile déboutés, de dealers ayant purgé leur peine ou d'autres délinquants non domiciliés en Suisse. Mais ceux-là ne sont pas concernés par l'initiative: elle ne vise que ceux auxquels on peut retirer l'autorisation de séjour.
Alors combien d'étrangers avec permis sont renvoyés?
Sur la base des chiffres fournis par 20 cantons et extrapolés pour les 26, le nombre est d'au moins 750 pour 2009, contre 615 en 2008. De précédentes estimations donnaient 350 personnes en 2004 et de 400 à 450 en 2007. Même en l'absence de précision statistique absolue, la tendance est clairement à la hausse.
Qui risque le renvoi?
Tous les étrangers condamnés à de «longues peines» (dès 12 mois selon le Tribunal fédéral). Car, dans ces cas-là, les autorités doivent systématiquement examiner la question du renvoi. Et celui-ci est presque toujours prononcé lorsque la sécurité publique est menacée (grave agression physique et sexuelle, meurtre, trafic de drogue mesuré en kilos).
Et pour les délits moins graves?
Il y a des tendances générales dans les pratiques cantonales. Les étrangers venant de l'Union européenne risquent moins le renvoi que ceux d'autres pays: l'accord de libre circulation le réserve aux cas extrêmes. Les femmes et les étrangers de deuxième génération sont moins souvent expulsés. Et le permis d'établissement «protège» mieux que le permis de séjour.
Quand s'applique le «principe de proportionnalité»?
Dans tous les cas. En présence de délits graves, l'intérêt public à un renvoi l'emporte sur l'intérêt privé à y renoncer. Dans les autres cas, on tient compte de la durée du séjour en Suisse, de l'âge, de l'intégration, des liens conservés ou non avec le pays d'origine, de la situation familiale (couples binationaux avec enfants).
Quelles différences entre cantons?
Dans l'appréciation de l'intérêt privé, certains cantons donnent une «dernière chance» à un délinquant, d'autres pas. Les tendances générales (deuxième génération, type de permis de séjour) ne sont pas absolues et les pratiques peuvent différer. Mais, selon l'étude demandée par le CFM, il existe des «indices d'harmonisation» manifestes.
Aux yeux de la CFM, l'initiative souffre de plusieurs défauts. Le renvoi «automatique» qu'elle prévoit est contraire au principe de proportionnalité. Il n'est en tout cas pas applicable aux ressortissants de l'UE. Le fait que, pour les délits graves, notamment de violence, le renvoi est presque toujours ordonné, montre que le droit actuel (loi sur les étrangers, Code pénal) est suffisant. Avec l'initiative, on aurait un droit pour les Suisses, un autre pour les Européens et un troisième pour les pays tiers.
Source : Le Nouvelliste