Exclusif: un rapport du Haut Conseil à l’intégration, qui doit être remis au Premier ministre en novembre, dénonce l’incapacité de l’école française à intégrer les enfants de l’immigration
C’est une étude dérangeante. Une photographie sans concession de l’école face aux enfants issus de l’immigration. Sur ces deux sujets traités séparément, les bibliothèques ministérielles croulent déjà d’enquêtes aussi alarmantes les unes que les autres. Mais l’intérêt du rapport du Haut Conseil à l’intégration (HCI), que révèle en exclusivité le JDD, c’est le choc entre ces deux univers. La description d’une réalité souvent "politiquement incorrecte" sans stigmatisation de communautés enfermées dans leurs quartiers.
Ce document de travail, qui ne s’intéresse pas à toute l’école et à tous les enfants d’immigrés mais principalement à ceux qui fréquentent les "établissements ghettos", doit être remis dans sa forme définitive au Premier ministre au début du mois de novembre. Au moment où la chancelière Angela Merkel fustige les échecs de la Multi-Kulti à l’allemande, il montre que l’école républicaine, dernier rempart à la communautarisation de la société, n’arrive plus, dans de nombreux territoires, à jouer son rôle.
Un effet ghetto propre à la France
Le rapport du HCI met à mal une contre-vérité souvent reproduite. La pression de l’immigration n’est pas plus forte en France que dans la plupart des grands pays européens. Ainsi, une étude de 2005 montre que la proportion d’enfants de moins de 18 ans d’origine étrangère (ayant au moins un parent né à l’étranger) est de 18,1%, contre 22% aux Pays-Bas, 25% en Suède, 28% en Allemagne. En revanche, l’inégalité de répartition de cette population sur le territoire caractérise la France.
Les plus fortes concentrations départementales se situent en Ile-de- France: Seine-Saint-Denis (57%), Paris (41%), Val-de-Marne (40%). Cette surreprésentation dépasse même 60% dans 20 communes, pour l’essentiel situées en petite et grande couronne parisienne, où un jeune sur cinq est d’origine maghrébine et un sur six d’origine subsaharienne. Dans certaines villes comme Clichy-sous-Bois, Aubervilliers ou La Courneuve, plus des trois quarts de la jeunesse est d’origine étrangère. "Il n’est pas rare d’avoir des classes primaires et de collèges entièrement composées d’élèves d’origine étrangère, partageant la même confession", constatent les auteurs du document pour lesquels "cet 'effet ghetto' a des conséquences scolaires et sociétales préoccupantes".
Des aides à l’efficacité mal mesurée
Plus de 110 millions d’euros sont consacrés par les pouvoirs publics en 2010 au programme de réussite éducative mis en place par la loi de cohésion sociale. Les auteurs du rapport saluent la démarche qui privilégie les actions individualisées au traditionnel accompagnement collectif, le large public concerné et le volontarisme politique. Pour l’année scolaire 2008-2009, 725.434 collégiens du public (30,7% des effectifs des collèges) en ont bénéficié, et 147.014 élèves des écoles élémentaires publiques relevant de l’éducation prioritaire.
Pourtant, le HCI relève la persistance de dispositifs locaux et redondants, le manque de coopération entre les différents opérateurs et l’école, l’absence d’évaluation de ces dispositifs. "On a ainsi pu rencontrer des responsables d’établissements scolaires et des enseignants qui, en cinq années de fonctionnement, n’avaient jamais eu de contact avec les responsables et animateurs des associations investies sur le champ du soutien scolaire, de l’aide aux devoirs et de l’accompagnement de scolarité."
L’enfermement dans des établissements ghettos, l’incapacité des pouvoirs publics à inverser le phénomène, le rejet du français – langue mal maîtrisée – provoqueraient des replis communautaires et religieux: "A tous les niveaux de la scolarité, les témoignages recueillis font état d’obstacles croissants. La montée des fondamentalistes et du communautarisme ouvre la porte à des contestations de cours de plus en plus nombreuses."
Dérives identitaires et montée du communautarisme
Le document du HCI rapporte la difficulté croissante rencontrée par des enseignants d’histoire-géographie à aborder certains aspects du programme: le fait religieux, la Shoah et le Proche-Orient. Les professeurs d’autres matières, notamment les sciences de la vie et de la Terre, sont confrontés aux mêmes phénomènes: "L’évolutionnisme est remis en cause au profit d’une action divine ou créationniste imposée par l’élève sans argumentation. Loin d’être marginales, ces contestations sont suffisamment récurrentes pour être remarquées."
Selon les témoignages recueillis, certaines classes des établissements de quartiers, où la mixité sociale et ethnique est absente, se déclarent "100 % musulmanes". La religion y serait affichée ouvertement et chaque élève serait situé par rapport à ses origines nationales et religieuses. "Ainsi en est-il à Marseille entre Comoriens et Mahorais ou entre Kurdes et Turcs. Dans ces établissements ghettos, les élèves sont prisonniers d’une assignation identitaire et religieuse", explique le HCI, qui s’est rendu à Marseille pour son enquête.
L’assouplissement de la carte scolaire en 2007 a contribué à radicaliser la situation. Les parents d’enfants immigrés, mal informés, ne savent pas repérer les bonnes filières. Si les procédures ont gagné en transparence pour le plus grand nombre, localement leurs effets ont renforcé le phénomène de renfermement des quartiers. Avec une conclusion sans appel: "Les études de l’OCDE font valoir des résultats qui marquent le pas par rapport à ceux produits par d’autres systèmes éducatifs développés, en dépit des moyens importants que la nation investit. L’école s’essouffle et tout particulièrement vis-à-vis des publics socialement défavorisés, notamment ceux issus de l’immigration."
Source : JDD