Faute de lieux d'inhumation, les musulmans continuent dans leur écrasante majorité de rapatrier leurs morts dans le pays d'origine alors que l'enterrement en France apparaît de plus en plus comme le signe d'une intégration réussie.
Quelque 80% des défunts originaires du Maghreb sont enterrés dans leur pays, selon une estimation d'Atmane Aggoun, chercheur au Centre national de la Recherche scientifique, qui se base sur les laissez-passer mortuaires délivrés par les préfectures.
Parmi eux, il n'y pas uniquement des immigrés de la première génération mais aussi des jeunes nés en France, notamment décédés de mort violente, a noté le sociologue Yassine Chaïb.
Grâce à la force du lien communautaire, les familles démunies sont aidées pour offrir ce dernier voyage, synonyme d'une dette sociale de celui qui a promis le retour. Des sans-domicile fixe et des sans-papiers sont ainsi rapatriés. Les immigrés d'un même village participent souvent à une cotisation spécialement dédiée.
Pays de tradition laïque, la France a autorisé par décret présidentiel la réalisation d'un cimetière musulman de quatre hectares en 1937. Il a été construit à Bobigny (Seine-Saint-Denis), près de l'hôpital franco-musulman (Avicenne).
Elle compte également quelque 85 carrés musulmans, essentiellement en Île-de-France. Il en faudrait entre 600 et 700, selon Atmane Aggoun. L'offre est "largement insuffisante", confirme le président du Conseil français du Culte musulman (CFCM), Mohamed Moussaoui.
Du point de vue de la tradition coranique, rien n'oblige un croyant à élire sa dernière demeure dans un pays musulman, mais seulement dans un cimetière où est respecté le rite funéraire qui veut notamment que la tête du mort soit tournée vers La Mecque.
"La règle veut que les défunts musulmans soient enterrés dans un cimetière musulman, ce qui explique le souhait de la majorité des familles de les rapatrier dans le pays d'origine", selon la Grande mosquée de Paris.
Le désir de recueillement a cependant suscité une revendication de carrés musulmans même si la peur de l'exhumation est décourageante puisqu'il s'agit désormais de concessions à durée déterminée.
Pour les musulmans, la tombe est la demeure éternelle. Le corps est enseveli à même le sol pour qu'il puisse se mélanger plus rapidement à la terre qui l'a engendré, difficulté supplémentaire en France où le cercueil est obligatoire.
"Faire souche en France nécessite une tombe pour l'éternité", observe Yassine Chaïb, selon lequel une concession temporaire signifie pour l?immigré "le prolongement d'un provisoire qui dure".
L'aménagement de carrés musulmans "est la preuve que la terre de France s?est sacralisée et que l?on est là pour longtemps", ajoute-t-il.
"Aujourd'hui, soutient-il, de plus en plus d'immigrés disent : +Mon pays, c?est mes enfants+, nés en France et pensent qu'en se faisant enterrer dans ce pays, ils y font souche".
Selon Atmane Aggoun, ce sont surtout les immigrés ayant eu une "carrière continue" en France qui veulent y être inhumés. "Ils veulent donner des racines à leurs enfants et à leurs petits-enfants. C'est un droit du sol renversé", explique-t-il.
"S'intégrer c'est aussi exister en tant que mort. L'intégration passe avant tout par la désintégration du corps ici, en France", estime le chercheur.
Pour répondre à la demande croissante de carrés, Yassine Chaïb recommande aux maires de pas se conduire en "théologiens" en négociant avec des associations religieuses, mais en "géomètres" puisqu'il s'agit d'une "question d'aménagement urbain".
Faute de place et face à l'interdiction de la crémation par l'islam, le CFCM songe aux ossuaires, a déclaré à l'AFP Mohamed Moussaoui.
Source : AFP