La cinéaste belge d’origine marocaine Saddie Choua a vu le jour à Bree, au Limbourg, a étudié à Genk, et parle le néerlandais avec un joli R uvulaire bruxellois. Après avoir filmé la sortie du placard de sa sœur, sa nouvelle performance vidéo à propos des parcours respectifs de son père et ses quatre frères, en Belgique et au Maroc, met à nouveau sa famille en lumière. « Je ne me facilite pas la tâche ».
Comment s’intitule votre nouveau projet filmique ?
« Les Choua – notre patronyme – en est le titre provisoire. Le point de départ est une photo de mon père et de ses quatre frères. Cinq hommes, dont deux ont émigré en Belgique, et trois sont restés au Maroc. Je pars à la recherche de ce qu’il est advenu de ces hommes, de leur parcours et de leur histoire, avec en écho les témoignages de leurs épouses, leurs enfants et leurs voisins. J’ai aussi pensé l’intituler Les Choua : Belgique – Maroc 2–3 (rit). Pour tenter de retracer ce passé, j’ai logé quelques jours dans les cinq foyers où j’ai filmé l’histoire de chacun. Je voulais découvrir ce qu’émigrer – ou ne pas émigrer – a pour effet sur un être humain, et la façon dont l’émigration peut aliéner quelqu’un. Peut-être moi-même en premier lieu ! Mis bout à bout, ces récits séparés sont censés créer une image plus globale de l’histoire de l’émigration. »
Ce sera aussi une performance en direct.
« Sur le plan de la forme, ce seront différents films qui se chevaucheront par le biais de diverses projections. Les histoires sont intensifiées par des extraits de films, des textes littéraires et un musicien ou un narrateur sur scène. Il s’agit d’une œuvre en chantier : je suis encore en plein processus de création. À l’heure actuelle, j’ignore quel sera le résultat final. Ce sera un mélange de petits films de fiction, de documentaires et de spoken word. Je peux présenter le contenu de manière disparate : tout est encore ouvert. »
Comment votre famille a-t-elle réagi à l’idée ? Vous a-t-il fallu les convaincre ?
Ils ne sont pas vraiment convaincus par ce que je fais. Ils ont déjà vécu l’expérience du documentaire sur la sortie du placard de ma sœur (Ma sœur Zarah, où comment j’ai essayé de changer mon père en 52 minutes – 2006) et savent que je ne m’attaque pas à des thèmes évidents. Ma sœur n’a pas eu de problème après la sortie de mon documentaire, mais tout un temps, elle a été au centre de l’intérêt, tandis qu’il s’agissait de mon film. À présent, il en va de même pour mes parents. Ils auraient peut-être préféré que je fasse autre chose de ma vie, que je poursuive ma carrière de sociologue à l’université, par exemple. Quand je leur demande par-dessus le marché d’être le sujet de l’un de mes projets, c’est assez délicat. Il y a en outre des membres de ma famille avec lesquels j’ai fort peu de contact. Il m’a d’abord fallu gagner leur confiance avant de pouvoir débarquer chez eux avec une caméra.
Encore un projet avec votre famille proche dans le rôle principal.
« En effet. Non pas que j’aie une famille tellement exceptionnelle ; mais c’est ma famille et elle est à portée de main. Je semble faire un usage fécond de cette donnée simple. Ma famille m’intrigue. Je trouve réellement intéressant de mettre leur histoire en parallèle avec des textes littéraires et de la musique que je suis en train de rassembler à l’heure actuelle, afin de situer cette photo et le parcours de chacun des cinq frères dans un contexte nouveau, en m’appropriant du matériel visuel et en l’insérant dans les cinq récits. Précisément parce qu’il s’agit de ma famille, je ne me facilite pas la tâche. »
Vous vous sentez plus Marocaine que Belge ? En général, c’est le contraire.
« J’ai toujours eu ce sentiment. Enfant, je rêvais d’être Belge, pour ne pas toujours avoir à expliquer mes antécédents et pour échapper au racisme et à la discrimination. Cette identité marocaine est toujours fortement présente dans mon interaction sociale, donc je m’en sers comme réaction, pour contrecarrer en somme, bien que je vive exactement comme mes amis belges. Je refuse de faire passer à la trappe les causes politiques et économiques qui ont fait émigrer mes parents et m’ont du coup fait naître et vivre en Belgique, ce que je ferais en me qualifiant de Belge. Et contrairement à cet éternel sentiment de double appartenance ici en Belgique, au Maroc, je suis tout simplement Marocaine, même si je vis en Europe. Je fais partie de la population locale. »
Vous êtes sociologue, cinéaste et auteur. Qu’êtes-vous en premier lieu ?
« Cinéaste, même si l’année prochaine je pars écrire six semaines au Liban. Ensuite, je retourne à Genk, où j’ai été à l’école, pour y travailler à ce qui devrait donner une nouvelle ou un roman. J’ai toujours trouvé Genk un lieu inspirant, avec toutes les langues qui s’y parlent et les histoires de toutes ces personnes d’origines différentes qui y vivent. On peut y faire des moissons fertiles. »
Qu’attendez-vous de Daarkom ?
« Dommage que Daarkom soit venu si tard. Elle peut réaliser ce qu’enfant, je désirais déjà : à l’époque, on n’entendait jamais parler de la fusion culturelle qui naît de toutes ces communautés et identités. J’espère que Daarkom présentera de nombreux spectacles de théâtre et de multiples expositions. Je crois que ce serait aussi très intéressant de faire venir des cinéastes marocains en Belgique. Les jeunes d’ici n’ont aucune idée de l’effervescence qui règne là-bas. »
L’avant-première des Choua est à l’affiche du festival Spoken World au Kaaitheater, le 25 novembre prochain.
Lieu : Kaaitheater, 20, square Sainctelette, 1000 Bruxelles
Source : Daarkom