«Seuls 43 Etats ont ratifié la Convention pour la protection des travailleurs migrants»
Notre pays qui joue un rôle important au niveau international sur la question migratoire a été l'un des premiers pays à avoir ratifié la Convention pour la protection des droits des travailleurs migrants, adoptée il y a 20 ans et entrée en vigueur en 2003, a souligné M. El Jamri, de nationalité marocaine et également expert auprès du Haut Commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme.
LE MATIN : La Convention pour la protection des travailleurs migrants qui célèbre cette année son 20e anniversaire. Ce texte est, dites-vous, un outil d'aide à l'élaboration de politiques publiques en matière de migration afin qu'elles soient respectueuses des droits des travailleurs migrants.Pouvez-vous approfondir cette idée ?
ABDELHAMID EL JAMRI : La Convention est l'un des neuf instruments fondamentaux des Nations unies consacrés aux droits de l'Homme. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet 2003 et, à ce jour, 43 Etats l'ont ratifiée. L'adhésion du 41e Etat a marqué l'élargissement de la composition du Comité qui est ainsi passée de dix à quatorze membres en janvier de cette année. Ce qu'il faut savoir , c'est que le monde compte aujourd'hui plus de 200 millions de migrants internationaux. Avec la mondialisation, la mobilité de la main-d'œuvre est devenue un élément clé de développement et de prospérité dans toutes les régions du monde. Les données économiques et les recherches menées à ce sujet démontrent que la protection des travailleurs migrants renforce l'impact positif que la migration a sur le développement et la productivité au niveau national. Autrement dit, il est dans l'intérêt de tous les Etats d'élaborer des normes et d'adopter des politiques visant à protéger les droits des travailleurs migrants. La convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille constitue le cadre juridique international le plus étendu pour la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille et elle oriente les Etats sur la démarche à suivre pour respecter les droits des migrants lors de l'élaboration et de la mise en œuvre de politiques relatives à la migration de main-d'œuvre. Une campagne mondiale lancée en avril de cette année par le Comité de direction de la campagne de ratification de la Convention, pour appeler les gouvernements à ratifier la Convention, afin de prendre une mesure concrète et décisive pour éradiquer les violations des droits de l'Homme dont les migrants sont victimes autour du monde.
Pour quelles raisons la ratification de cette convention est-elle importante, en ce moment où le phénomène migratoire est sous les feux de la rampe des médias et des gouvernements des pays d'accueil ?
Malgré l'existence de cet instrument, des actes d'une terrible violence et de relents xénophobes à l'encontre de migrants ont eu lieu récemment, ainsi que de la recrudescence des attitudes discriminatoires, de l'exclusion, de l'exploitation et des abus auxquels sont confrontés beaucoup de travailleurs migrants aujourd'hui. La Convention est articulée autour de la distinction entre travailleurs migrants documentés et non documentés, car l'un de ses objectifs principaux est de soutenir les efforts des gouvernements visant à combattre et si possible éliminer les migrations irrégulières et clandestines, étant donné que ces migrations rendent les migrants vulnérables aux fléaux de la traite et au trafic d'êtres humains. Nous avons constaté un durcissement de certains pays au détriment des droits des migrants .Or la Convention stipule l'obligation des Etats de protéger les droits fondamentaux de tous les travailleurs migrants, y compris de ceux en situation irrégulière. La protection des travailleurs migrants est nécessaire, étant donné la situation de vulnérabilité où ils se trouvent. La Convention sur les droits des travailleurs migrants fournit d'autre part , un cadre législatif général utile non seulement à la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, qu'ils soient en situation régulière ou non, mais aussi à la formulation des politiques migratoires nationales et à la régulation des migrations au travers de la coopération internationale, favorisant ainsi la création de relations harmonieuses entre les régions, les Etats parties, et au sein même des sociétés dans lesquelles résident les travailleurs migrants. La Convention, constitue un outil de cohésion sociale puisqu'elle véhicule un message de tolérance et donne un signal clair que tous doivent être traités avec respect au travers de la reconnaissance et de la protection de leurs droits.
Quels sont les freins qui empêchent certains Etats de ratifier cette convention ?
Le Comité des travailleurs migrants a identifié des sujets de préoccupations communes comme la nécessité d'entreprendre des réformes législatives afin que le cadre légal national soit conforme aux dispositions de la Convention. La collecte de données dans le développement des politiques migratoires et la nécessité d'étendre les formations relatives aux droits de l'Homme et à la Convention à tous les fonctionnaires travaillant dans le domaine de la migration a été souligné. Le Comité des travailleurs migrants a souvent rappelé l'importance d'assurer que le droit à un recours effectif ne soit pas entravé pour les travailleurs migrants, y compris pour ceux qui ne sont pas documentés, et il a rappelé l'importance de poursuivre les efforts en vue de prévenir et combattre la traite et le trafic d'êtres humains. Depuis sa création, le Comité n'a cessé d'œuvrer pour la promotion de la Convention sur les droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille au travers d'une série d'évènements et d'activités. En mai dernier nous avons participé à un symposium organisé à Genève par le Groupe mondial sur la migration, pour discuter la manière d'introduire les droits de l'Homme dans les politiques de migration. J'ai aussi représenté le Comité lors du troisième Forum mondial sur la migration et le développement, accueilli par le gouvernement grec les 4 et 5 novembre 2009. J'ai été aussi présent au Forum permanent du dialogue Arabo-africain sur la démocratie et les droits de l'Homme, qui a eu lieu au Caire, du 7 au 9 décembre 2009, ainsi qu'à l'occasion de plusieurs initiatives de la société civile, comme le séminaire organisé par la Fédération internationale des droits de l'Homme le 14 décembre 2009, ainsi que la conférence régionale sur « la migration et la violence à l'égard des femmes en Europe », organisée par l'Union interparlementaire les 10 et 11 décembre 2009. J'ai également participé au 4e Forum sur la migration et le développement, qui a eu lieu du 8 au 11 novembre à Puerto Vallarta, Mexique.
Le Comité a également été représenté à la 2e session du Forum sur les questions de minorités du Conseil des droits de l'homme, tenu à Genève du 12 au 13 novembre 2009, qui a focalisé sur la participation politique effective. Le comité était également représenté à la 8e session du Groupe de travail intergouvernemental sur la mise en œuvre effective de la Déclaration de Durban et le Programme d'action, tenue à Genève. J'ai participé aussi au IV Forum Social Mondial sur les Migrations, qui s'est tenu la semaine dernière à Quito en Equateur. Dans les activités de promotion et protection du Comité que je représente, le 18 décembre 2009, nous avons émis une déclaration conjointe avec le Rapporteur spécial sur les droits des migrants, M. Jorge Bustamente, à l'occasion de la journée internationale des migrants.
La question des immigrés est souvent perçue par le seul biais de la sécurité et de l'ordre. La Convention change-t-elle quelque chose dans cette perception ?
Une déclaration conjointe du Groupe mondial sur la migration sur les droits des migrants en situation irrégulière, a été adoptée le 30 septembre de cette année. Dans cette déclaration, le Groupe a exprimé sa préoccupation au sujet de la vulnérabilité et des abus auxquels les migrants en situation irrégulière sont souvent confrontés. Le Groupe regrette que trop souvent les Etats aient abordé la migration irrégulière par le seul prisme de la souveraineté, la sécurité des frontières et le maintien de l'ordre, rappelant que cette préoccupation ne peut pas dominer les obligations de l'Etat de respecter les droits de l'Homme garantis au niveau international à tous les individus. Cette déclaration nous rappelle aussi les droits fondamentaux, établis dans la Convention et dans tous les traités des droits de l'Homme, qui sont reconnus à toutes les personnes, au-delà de leur statut migratoire, y compris le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, le droit à ne pas être discriminé, le droit à ne pas être sujet à l'exploitation et aux abus, le droit à un procès équitable et à une réparation, les droits à la santé, à un niveau de vie suffisant, au logement et aux conditions favorables du travail. La question des droits de l'Homme dans le contexte de la migration est de plus en plus débattue, tant au niveau national qu'international. On observe que l'attention accrue dédiée aux droits des migrants se reflète aussi dans les recommandations issues de l'examen périodique universel. C'est ainsi que, jusqu'à la session du Conseil des droits de l'Homme tenu en février de cette année, des questions concernant la migration ont été soulevées dans 91 des 112 Etats examinés. 73 Etats ont reçu des recommandations concernant des questions de migration, et parmi ces 73 pays, 56 ont été encouragés à ratifier la Convention internationale pour les droits des travailleurs migrants. Même si le rythme des ratifications à la Convention internationale pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille s'est accéléré depuis l'entrée en vigueur de la Convention, le Comité des travailleurs migrants regrette néanmoins le nombre limité des Etats parties. Avec 43 Etats parties, le manque de ratification constitue un réel défi pour notre Comité qui est plus que jamais déterminé à avancer dans sa mission.
Source : Le Matin