Après une série de manifestations et de meurtres xénophobes en Russie, le Premier ministre s'est exprimé sur la question lors d'une séance de questions-réponses.
En plus de quatre heures de questions-réponses, Vladimir Poutine a balayé un grand nombre de sujets d'actualité, ce jeudi sur la chaîne de télévision publique Rossia (lire l'encadré). Parmi ces thèmes: la montée des groupes racistes en Russie.
Série de manifestations
Des slogans ouvertement xénophobes sont régulièrement entendus lors de rassemblements de groupes nationalistes russes. Cela a été le cas samedi dernier en plein Moscou. Quelque 6000 ultra-nationalistes s'étaient rassemblés face au Kremlin, sans autorisation, pour rendre hommage à un fan du club Spartak de Moscou tué dans une rixe avec de jeunes Caucasiens.
Certains ont même fait le salut nazi, scandant "La Russie aux Russes", loin de l'image de modernité que les autorités cherchent à cultiver en vue de la Coupe du monde de 2018. La manifestation avait dégénéré et fait une quarantaine de blessés dans les heurts avec la police.
Réaction, deux appels à la mobilisation ont suivi. L'un adressé aux personnes originaires du Caucase, région musulmane du sud de la Russie. L'autre émanant de l'extrême droite, appelant les hommes russes à ne sortir de chez eux mercredi que s'ils étaient armés, et invitant femmes, vieillards et enfants à rester chez eux. Le Mouvement contre l'immigration s'inquiétait dans un communiqué de la venue à Moscou de "milliers d'islamistes radicaux" du Caucase russe "pour châtier les Moscovites".
Ce mercredi, la police a dû mobiliser 3000 hommes à Moscou et interpellé près d'un millier de personnes pour empêcher de nouveaux heurts qui menaçaient de survenir, notamment près de la garde de Kiev. Lundi soir, la police russe avait déjà verrouillé le centre de la capitale russe, dont la place Rouge, à la suite de rumeurs de possibles affrontements entre jeunes d'extrême droite et Caucasiens.
"Apparence non-slave"
Outre ces manifestations, plusieurs meurtres ont été commis récemment, apparemment pour des raisons de haine raciale. Dimanche, un ressortissant du Kirghizstan (Asie centrale) a été tué à Moscou par des jeunes proches de la mouvance ultra-nationaliste. Un adolescent de 14 ans figure parmi les personnes arrêtées et soupçonnées du meurtre.
Des mouvements racistes appellent ouvertement à se débarrasser des non-Russes, à commencer par les ressortissants du Caucase et d'Asie centrale, musulmans pour l'essentiel. Une tendance apparue depuis la chute de l'URSS, alors que des centaines de milliers de ressortissants d'ex-républiques soviétiques sont venus travailler dans les grandes villes russes. Souvent perpétrées par des bandes de skinheads, les attaques visent aussi les Asiatiques et les Africains. Toute personne ayant une "apparence non-slave", selon l'expression utilisée.
L'idée d'une "Russie aux Russes" est soutenue par 54% des Russes, selon un sondage de novembre 2009 de l'institut indépendant Levada. "Les sentiments xénophobes sont en pleine croissance et les activités des radicaux aussi", constate Alexandre Verkhovski, directeur de SOVA, une ONG spécialisée dans l'étude du racisme.
Poutine reste vague
Malgré l'enracinement et la progression du sentiment anti-Caucasien, notamment après les attaques de Moscou, Poutine n'a annoncé jeudi aucun plan d'envergure pour lutter contre ce phénomène inquiétant, ce jeudi. "La Russie a été constituée dès le départ comme un Etat multiconfessionnel et multiethnique. (...) Il faut réprimer durement toute manifestation d'extrémisme, d'où qu'elle vienne", a-t-il affirmé, sans précisé de quelle manière les autorités entendaient réagir.
Déception du côté des ONG... "Le Premier ministre aurait dû condamner vigoureusement les événements le soir même des manifestations", a estimé Galina Kojevnikova, une responsable du centre SOVA. "Il y a une certaine tolérance envers le fascisme chez nous", a déclaré Svetlana Ganouchkina, responsable d'une ONG qui aide les migrants. "Cette tolérance canalise les sentiments protestataires et les détourne des autorités."
Il y a une certaine tolérance envers le fascisme chez nous
D'autant que d'autres ont utilisé des mots plus tranchants. Le président Dmitri Medvedev avait de son côté parlé lundi de "pogroms", après les affrontements du week-end à Moscou. Le grand mufti de Russie, Ravil Gaïnoutdine, dans une déclaration d'une rare dureté, avait dénoncé une dérive "anti-caucasienne, anti-islamique et anti-immigrés", et exhorté les autorités à enrayer la montée de la xénophobie.
En 2005, Vladimir Poutine, alors président, avait bien pris une mesure visant à souder la Russie: la journée de l'Unité du peuple fixée au 4 novembre, commémorant la libération de Moscou en 1612, occupée alors par l'armée polonaise. Mais cette célébration reste méconnue des Russes et ceux qui la célèbrent le font... à leur manière.
Ainsi les mouvements nationalistes et antisémites, se réclamant de courants ultra-orthodoxes et anti-immigration avaient-ils rassemblé entre 5000 et 7000 militants (sur les 25 000 recensés à Moscou), en majorité de jeunes hommes, cette année (voir la vidéo ci-dessous). Beaucoup cachaient leur visage derrière des cagoules ou des masques chirurgicaux, et lançaient des slogans tels "L'Europe aux blancs et la Russie aux Russes". Sans que les autorités s'en émeuvent.
Source : L’Express