Bruxelles a accueilli le week-end dernier la 3e édition des « Marocaines d’ici et d’ailleurs ».
Dynamisme, défense de leurs droits, ambition : les Marocaines d’Europe n’entendent pas courber l’échine.
La « caravane de la femme marocaine » se poursuivra aux quatre coins du monde.
Fraternité. Tels sont sans conteste le mot à retenir et l’émotion ressentie par chacun des 250 participants à la 3e édition du forum « Marocaines d’ici et d’ailleurs ». La rencontre qui s’est tenue les 18 et 19 décembre à Bruxelles, noyau de l’Europe, à l’initiative du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), a en effet suscité l’intérêt de nombreuses Marocaines de la diaspora mais aussi du Maroc même.
Sourire aux lèvres et fougue méditerranéenne imbibant les gestes et les paroles, le ton est donné d’emblée. Place à la chaleur ! Toutefois, les Marocaines d’ici et d’ailleurs ont su prouver qu’il était possible de débattre de sujets sérieux dans une ambiance bon enfant. Et des sujets sérieux, il y en avait à revendre. Après des allocutions officielles, les participants se sont dispersés dans les différentes salles de l’hôtel qui accueillait l’évènement pour assister à l’atelier qui leur tenait le plus à cœur. « Agir pour la citoyenneté », « Agir contre les discriminations », « Femmes et citoyennes » : tels ont été les axes sur lesquels étaient invités à débattre les participants, féminins dans leur immense majorité.
Butinant de salle en salle, il était aisé de percevoir l’enthousiasme de ces femmes venues établir ensemble un premier état des lieux scientifique des migrations féminines marocaines. Profitant de leurs similitudes et mettant leurs différences aux oubliettes, chercheurs, ministres, parlementaires, étudiants, mais aussi acteurs associatifs ont inscrit leurs réalités dans le contexte international. « Les populations immigrées ou issues de l’immigration connaissent des mutations rapides et sont confrontées à des interrogations nouvelles alors même que les sociétés européennes sont confrontées elles aussi à des problématiques inédites et complexes ». L’auteure de ces mots, Amina Ennceiri, est psychosociologue chargée de mission à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Elle évoque notamment la gestion du pluralisme ou encore la montée des discriminations que subissent les Marocains d’Europe, sans distinction de sexe d’ailleurs.
La migration, une richesse !
Les Marocaines d’Europe et d’ailleurs doivent donc défendre leur légitimité. Leur visibilité grandissante étant l’un des piliers de leur lutte. Preuve en est, la sélection de la femme qui s’est vu recevoir un brillant hommage lors du dîner de gala, trait d’union des deux journées. Le choix s’est porté sur Khiti Benhachem, journaliste marocaine qui a animé durant de nombreuses années l’émission de radio « Ilaykoum » (« Pour vous »), dont la diffusion a débuté dans les années 1970 sur la Radio Télévision Belge (RTB). Elle aura eu le mérite de parler et de faire parler ces Marocaines d’Europe qui, à l’époque, laissaient croire qu’elles n’y resteraient que temporairement. Leur émigration vers les pays européens, qui comptent aujourd’hui près de trois millions de Marocains, n’est pas conjoncturelle. C’est un fait indéniable aujourd’hui. Et le fait qu’une Marocaine soit aujourd’hui ministre belge de laCulture prouve bien qu’un changement est en marche.
Ces Marocaines sont venues prouver que dans une planète mondialisée, chacun devrait trouver sa place, peu importe le pays dans lequel il décide de résider. La manifestation bruxelloise n’est que la première étape d’une série de rencontres qui se tiendront jusqu’en juin 2011 dans quatre régions du monde : l’Europe, l’Afrique subsaharienne, les pays arabes et les Amériques. La femme marocaine est en effet présente en tout lieu, portant avec elle son bagage de richesses, que son expérience dans son pays de résidence peut l’aider à agrandir. Car comme l’a justement clamé Amina Ennceiri, « être d’ici quand on est d’ailleurs et être d’ailleurs quand on est d’ici nous invite à une dynamique qui ne peut que nous renforcer et nous enrichir ».
interview:
Leïla Shahid,déléguée générale de Palestine auprès de l’Union européenne
« J’ai une grande croyance dans les diasporas »
Vous qui connaissez bien le Maroc, que pensez-vous de l’évolution de la situation de ses femmes ?
J’ai vécu treize ans au Maroc (entre 1977 et 1990), et j’ai travaillé dans ce pays, notamment en tant qu’enseignante dans des bidonvilles. J’ai quitté le Maroc il y a 20 ans. Pas complètement, il est vrai, mais cela fait 20 ans que je suis ambassadeur et je n’ai pas forcément le temps d’étudier l’évolution du statut de la femme marocaine, ou plutôt de la diaspora marocaine. Lorsque je reviens dans la famille de mon mari ou chez des amis, je n’ai malheureusement pas assez de temps pour faire des enquêtes sur cette évolution.
La rencontre des « Marocaines d’ici et d’ailleurs » a-t-elle pu rectifier le tir ?
Je suis venue assister à cette conférence par pure curiosité au départ. Mais une fois ici, j’ai été très impressionnée par la qualité du travail fait par les groupes de travail. J’ai notamment assisté à l’atelier « Femmes et citoyennes », et j’ai été étonnamment surprise par la qualité des présentations, de la dynamisation du Maroc et de ses femmes. Et surtout, je me rends compte que ces réalisations ont été faites sans discours tonitruants.
Donc le Maroc que vous connaissiez a changé ?
Il n’a pas seulement changé, c’est une révolution copernicienne ! C’est plus que changer. Justement, lors de mon allocution à l’occasion de la rencontre, je ne vais pas parler de la Palestine, mais du Maroc. Parce que ça m’a remonté le moral de constater tous ces changements ! Quand je suis arrivée au Maroc, il y avait peut-être une dizaine d’ONG, une seule télévision, deux journaux en français (Le matin du Sahara et L’opinion), et deux journaux en arabe. Alors que maintenant, les changements sont extraordinaires ! J’ai travaillé dans l’édition, et à l’époque j’avais publié le premier livre de Fatima Mernissi sur le Maroc. En vingt ans, le Maroc a réalisé un accomplissement qui demande dans d’autres pays à un rythme normal près de 50 ans ! Et ce, à la fois sur le plan juridique, des lois, du code de la famille, du code du travail, du code de la nationalité et sur le plan des ONG. La qualité scientifique de ce que j’ai entendu lors des interventions auxquelles j’ai assisté ce matin est d’un niveau international. Je suis très heureuse pour le Maroc !
L’un des axes de la rencontre concernait la réforme du code de la famille et les limites de son application, notamment en Europe. Si les textes existent, leur application n’est pas toujours garantie…
Je ne me fais plus d’illusion sur le fait que les lois suffisent. Je le vois de mes propres yeux ! Il peut y avoir des réformes au niveau de l’Etat, des codes et des lois qui protègent les droits de la femme, mais s’il n’y a pas de société civile qui défend ces réalisations, c’est comme si cette loi n’existait pas.
Vous conseillez donc à ces « Marocaines d’ailleurs » de poursuivre leur lutte pour la défense de leurs droits ?
J’ai une grande croyance dans les diasporas. D’ailleurs, moi-même je suis diasporique. Je suis Palestinienne née dans la diaspora, au Liban, ma mère et mon père ont tous les deux quitté la Palestine. Et je pense que si l’on est intelligent dans la vie, l’exil, même l’exil le plus douloureux, peut être utilisé à bon escient. Cette présence dans un autre pays, côtoyant une autre culture, on peut en faire une arme pour construire la modernité et de nouvelles formes de développement.
Source : Le Soir