samedi 23 novembre 2024 12:06

«Ni la nationalité, ni les diplômes ne protègent de la discrimination»

Lors de la première rencontre des femmes marocaines d'Europe, qui a eu lieu à Bruxelles, l'accent a été mis sur la notion de discrimination genre à laquelle les femmes de la diaspora sont confrontées. Rachid Alaoui met toute la lumière sur ce thème galvaudé, mais pas toujours bien défini.

LE MATIN : La discrimination fondée sur le genre est une notion très galvaudée par les uns et les autres. Quelle définition en faites-vous ?

Rachid Alaoui : Il s'agit effectivement d'un thème très présent dans les médias, les politiques publiques, le discours associatif et dans le discours scientifique. Il y a donc un usage inflationniste du terme «discrimination», sans que cet usage ne soit traduit par une clarification. Dès lors qu'on parle de discrimination, cette notion se télescope avec d'autres notions voisines, comme le racisme, l'exclusion, la diversité et la question de l'intégration. Or l'intégration est un concept juridique qui signifie qu'il y a discrimination lorsqu'il y a une rupture des principes d'égalité de traitement dans une situation comparable sur la base d'un critère qui est interdit par la loi. Il est donc différent de l'exclusion.

Pour être discriminé, il faut avoir toutes les compétences exigées pour accéder à un emploi ou avoir toutes les ressources financières pour accéder à un logement et que la seule différence dans cette situation comparable est un critère subjectif qui renvoie soit à l'origine de la personne, soit à son patronyme, son appartenance sexuelle, à son apparence physique, à sa religion, à son état de santé ou à son handicap. Et si une personne n'a pas les ressources exigées, pour voyager en première classe par exemple, elle ne peut pas dire qu'elle est discriminée. Elle est peut-être exclue du fait qu'elle n'a pas le pouvoir d'achat qui lui permet d'avoir un pouvoir de consommation, mais elle ne peut se plaindre de discrimination. Et même si elle le prétend, elle ne peut en apporter la preuve. Son recours va être classé sans suite parce qu'il se trompe de diagnostic. D'où justement le besoin de clarifier cette notion…

En réalité, les gens confondent exclusion, prostitution, religion, racisme, islamophobie… Il y a besoin de clarifier cette notion parce qu'en fonction du diagnostic, les réponses changent. Les femmes ne sont pas inscrites de la même manière dans l'action et dans la mise en œuvre de cette action. Quand on parle de discrimination, il faut définir de quoi est-ce qu'on parle ? Qu'est-ce qui me permet en tant que responsable associatif ou en tant que recruteur ou enseignant ou agent de service public de dire que tel acte relève de la discrimination ou de l'exclusion ou encore des déficits de compétences chez l'individu. Il y a besoin d'objectiver une notion qui est, dans un premier temps, éminemment subjective puisque c'est la personne qui dit «je suis discriminée». Or on peut se sentir discriminé sans l'être forcément et on peut l'être sans en être conscient. D'où la nécessité de se doter d'outils de procédures qui permettent cette objectivation.

Dans le cas des femmes de la diaspora. Jusqu'à quel point est-ce qu'on peut parler de discrimination ?

La discrimination à l'égard des femmes, quel que soit leur origine, est quelque chose d'ordre universel. Les femmes sont victimes d'un rapport de domination sexuelle. Après, quand on est femme et immigrée, c'est-à-dire d'origine étrangère, on cumule deux types de discrimination, en fonction de l'appartenance mais également en fonction de l'origine. Et puis il y a l'appartenance à une classe sociale. On ne peut pas constater que toutes les femmes sont discriminées et en rester là.

Par exemple, beaucoup de Marocaines quittent leur pays et confient leurs enfants à des parents ou à des proches pour aller travailler en Espagne ou en France. Elles s'occupent des enfants des autres pour permettre à d'autres femmes blanches d'externaliser ce travail domestique, d'aller travailler et de se consacrer à leur carrière. Il existe donc déjà un rapport d'exploitation au sein du groupe femmes qui est sou-jacent au rapport de classe. Mais la femme, quel que soit son statut social, fait l'objet de domination. Pour récapituler, la femme de la diaspora est victime d'une discrimination de classe, de race et de sexe. Et quand on accumule les trois, ce n'est pas une addition qu'on obtient, mais un effet multiplicateur. D'où la nécessité de réserver un traitement spécifique à ces femmes.

Est-ce qu'on dispose de statistiques ou de données chiffrées sur cette discrimination genre ?

En France, nous avons un déficit de statistiques sur la question. C'est-à-dire que les statistiques sont aveugles quand on a envie de connaître le sort de la troisième génération. Les statistiques disponibles concernent la nationalité et le lieu de naissance des immigrées. Mais quand il s'agit de personnes qui sont nées en France, de parents nés aussi en France, on perd la traçabilité. Elles ne sont pas étrangères et n'ont pas immigré et pourtant, d'après leur patronyme, leur faciès, leur couleur et leur origine, même si elles sont nées et socialisées en France, elles continuent d'être victimes de ce stigmate racial, religieux ou culturel. Ce qui veut dire que ni la nationalité ni les diplômes ne protègent de la discrimination.

Il faut, donc, travailler au niveau des recruteurs pour déconstruire un peu leurs représentations. Ils doivent partir du principe qu'il faut embaucher les compétents. Il est tout de même dommage de se priver de la compétence de l'autre et de la plus value qu'il peut apporter, à cause d'une appartenance réelle ou supposée.

Peut-on parler de préjugés dans ce cas ?

Bien sûr. A compétence et à diplôme égaux, une personne quinquagénaire reçoit 3 fois moins de convocation qu'une personne trentenaire, une personne d'origine marocaine reçoit 5 fois moins de convocation à un entretien et une personne qui a un handicap qui n'a pas de préjudice sur son travail, même s'il est blanc et français, reçoit 15 fois moins de convocation à un entretien d'embauche. Cela montre que les préjugés sont opérants. Ils touchent également certains corps de métier qu'on soumet à une projection sexuelle. Quand on analyse les offres d'emploi on trouve : « Cherche une secrétaire, une sage-femme… ». Tout est mis au féminin. D'un autre côté, on peut trouver : « Cherche chef de travaux » , comme si une femme ne peut pas assumer cette responsabilité. Lors de la formulation, on est déjà dans la discrimination.

Quelques solutions

Selon notre chercheur, pour surmonter le handicap de la discrimination, il faut d'abord savoir de quoi on parle et faire un diagnostic et un état des lieux. Avant d'agir, il faut savoir sur quoi on agit.

De là, la nécessité d'avoir des outils d'identification, de savoir si la discrimination existe ou non, comment elle se manifeste, dans quel secteur d'activité, quel public elle touche, à quel niveau de responsabilité… C'est d'ailleurs pour cette raison que Rachid Alaoui a proposé la création d'un Observatoire des discriminations sur les Marocains à l'étranger, mais aussi au Maroc. «Ce sera intéressant de travailler sur les deux. A partir d'un état des lieux, on peut définir une stratégie globale et établir un plan d'action. «Comment une discrimination est avérée alors qu'elle est interdite par la loi? Comment réparer le préjudice et sanctionner cette discrimination ? Mais si on procède uniquement à la sanction, on ne risque pas d'aller loin même si la sanction est importante», souligne le chercheur qui propose plutôt la sensibilisation comme moyen de lutte contre cette notion. Autre élément principal de cette lutte: faire connaitre les bonnes pratiques.

21/12/2010

Source : Le Matin

Google+ Google+