Pointés du doigt par l’extrême droite, les musulmans qui se réunissent sur la voie publique souffrent d’un manque de lieux de culte.
Les musulmans qui prient à ciel ouvert sont-ils comme l’occupant allemand de la Seconde Guerre mondiale ? C’est ce que suggère Marine Le Pen, en pleine campagne interne du Front national, décisive pour l’élection présidentielle. Aux Assises contre l’islamisation de la France (Libération du 20 décembre), ce week-end à Paris, la diffusion d’un film montrant des fidèles agenouillés en pleine rue a provoqué des hurlements de colère dans une salle remplie d’un millier de militants extrémistes. Mais quelle est la réalité de la situation en France et dans la capitale ?
Combien de fidèles dans la rue ?
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) peine à évaluer le nombre de mosquées concernées par le manque d’espace. Elles seraient une vingtaine en France. A Paris, trois endroits identifiés, régulièrement photographiés : rues Myrha et Polonceau dans le XVIIIe arrondissement, Jean-Pierre-Timbaud dans le XIe. Dans ce dernier arrondissement, un lieu de culte, l’Institut des cultures d’islam (ICI), sera construit prochainement sur plus de 500 mètres carrés.
850 000 personnes en France seraient pratiquantes. L’inégale répartition territoriale ne permettra pas de résoudre rapidement la question. «Il y a des endroits où les gens s’entassent et d’autres où c’est trop vaste», dit Mohammed Moussaoui, le président du CFCM. Selon lui, la situation dérange énormément les fidèles, qui hésitent même à pratiquer : «Comme ils savent qu’il n’y a pas de place, ils n’y vont pas.» Se retrouver dehors représente une condition «indigne» pour prier et il est impossible d’entendre correctement les discours de l’imam.
Une étude sur la superficie cultuelle musulmane rapporte que 300 000 mètres carrés sont actuellement disponibles dans l’Hexagone. Il en faudrait le double, selon le CFCM. Aujourd’hui, 150 projets seraient en cours de construction sur tout le territoire, ce qui constitue un «rattrapage indéniable» pour Moussaoui.
L’essentiel du financement de ces lieux de culte vient des fidèles. Certains grands projets (Evry, Strasbourg ou Saint-Etienne) ont trouvé des fonds à l’étranger : Algérie, Maroc ou Arabie Saoudite. Parfois, des chantiers sont bloqués, car les maires qui les portent craignent de perdre des électeurs. Alors ils se protègent derrière divers prétextes, comme un permis de construire qui tarde à venir, un manque de réserve foncière… Chacun essaie de se débrouiller avec ces difficultés. Pour les endroits surchargés, Mohammed Moussaoui suggère que la prière du vendredi fasse l’objet de deux «services». Et encourage les villes à faire l’effort de louer des salles.
Contrairement à la rumeur distillée par l’extrême droite sur une instrumentalisation par des islamistes radicaux des fidèles priant dehors pour «accaparer les territoires», un haut responsable du renseignement tranche : «L’occupation des lieux publics par les musulmans n’a rien à voir avec la radicalité de certains imams ou mouvements, mais avec l’exiguïté des mosquées. Que ce soit à Marseille, Lyon ou Paris, les églises se vident et les mosquées se remplissent, c’est tout.»
Que dit la loi ?
Peut-on interdire ces prières publiques ? Juridiquement, la loi de 1905 garantit la «libre conscience et la liberté de culte» dans son article premier. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 stipule aussi que «nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi». Aucune disposition juridique ne justifie l’interdiction de ce type de prières. Et la préfecture de police de Paris accorde un «régime de tolérance provisoire» : «Nous permettons aux gens de prier sur la voie publique et fermons ces rues à la circulation une heure, et une seule, le vendredi, afin de limiter les nuisances, et ce jusqu’à l’achèvement des travaux [de la future mosquée, ndlr].»
D’autres religions bénéficient de cette «tolérance ponctuelle». Les cathos tradi du pèlerinage Chartres-Paris sont autorisés à finir leur marche sur les genoux dans un square du VIIe arrondissement. Quant à la manifestation des «fêtes des lumières juives, elle se termine souvent sur la voie publique», précise la préfecture. Le maire socialiste du XVIIIe arrondissement parisien, Daniel Vaillant, qui se définit comme un «vrai laïc tolérant vis-à-vis des religions» considère que l’espace public doit rester «au service du public», «en déplorant que cette situation ne permette pas aux musulmans de prier dignement». Et Bertrand Delanoë, maire de Paris, de renchérir : «Paris compte des centaines d’églises, mais le culte musulman, […] les jours de fête religieuse, se pratique trop souvent dans les caves ou dans la rue. Je n’accepte pas cette inégalité, et je revendique mon choix de contribuer à la corriger.»
Qu’en pensent les maires qui ont une mosquée ?
En 2003, la commune de Montreuil (Seine-Saint-Denis) avait accordé un bail emphytéotique sur un terrain pour que la communauté musulmane y construise une mosquée. Une élue du Mouvement national républicain (MNR, extrême droite) avait fait un recours contre cette décision. «Elle a gagné en première instance, ce qui a donné un coup d’arrêt au projet», explique Dominique Voynet, maire de la ville, 100 000 habitants et «peut-être 30 ou 40% de musulmans». Montreuil, ajoute Voynet, «a gagné en appel au moment où je suis devenue maire. La mosquée a été inaugurée cet été, financée sans crédit étranger, mais avec les dons des fidèles de la ville». Avant sa construction, beaucoup de pratiquants se réunissaient dans une salle de prière privée. Le vendredi, l’afflux était si important, que la prière débordait sur la rue. «Ça agaçait les riverains, témoigne la maire. Pas du tout parce qu’ils en avaient après les musulmans, juste parce que cela posait des difficultés de circulation.» La construction de la mosquée a résolu le problème.
A Evry, la mosquée est en plein cœur de la ville. «Certains pensent à tort que leur place est à la périphérie», explique le maire de la ville, Manuel Valls. «Nous avons choisi d’édifier des lieux de cultes monumentaux : mosquée, pagode, synagogue, temple évangéliste. Le dialogue entre les religions et leur compréhension par les citoyens se trouve renforcé. Il faut être intransigeant avec la laïcité [le député-maire a voté l’interdiction de la burqa], mais la France doit faire la démonstration que l’islam et la démocratie sont compatibles.» Valls soutient «l’idée de fondation de Dominique de Villepin pour financer le culte musulman, monter un programme de construction de mosquées en France…»
Source : Libération