samedi 23 novembre 2024 12:10

Immigration, une exception française en Europe

Vue isolément, l'image est trompeuse. Replacée dans l'album de famille européen, elle est plus juste. Les expulsions de Roms l'été dernier, le regain de popularité de Marine Le Pen, la possibilité donnée aux jurys d'assises d'expulser des étrangers condamnés : vite analysées comme les marques d'une dérive xénophobe, ces crispations françaises sont faibles en comparaison des mouvements identitaires, plus radicaux, qui traversent l'Europe. Symptomatique est le fait que l'Union européenne soit présidée, depuis le 1 er janvier, par la Hongrie, dont le Premier ministre Viktor Orbàn pratique un nationalisme offensif, nourri de provocations territoriales à l'égard du voisin slovaque, dont les minorités magyares se voient proposer un passeport hongrois par Budapest. Il s'alimente aussi de pressions ethniques exercées à l'encontre, notamment, des Roms.
« La Hongrie a très mal digéré que l'on débatte des racines chrétiennes de l'Europe », analyse Laurent Wauquiez, ministre délégué aux Affaires européennes. Cependant, si les querelles territoriales restent dominantes à l'Est, en Europe occidentale, c'est la question religieuse, avec la place de l'islam, qui est le dénominateur commun des crispations identitaires. Ce moteur est si puissant qu'il pousse des pays par tradition ouverts aux flux migratoires à remettre en question leur modèle d'accueil et d'intégration : les Pays-Bas, où le Parti pour la liberté de Geert Wilders est devenu la troisième force parlementaire, l'Allemagne, où, après avoir joué du sentiment national dans la crise grecque, Angela Merkel s'est interrogée sur le multiculturalisme.
Plus au nord, en Finlande (à quatre mois des législatives) et en Suède (où elle n'avait pas droit de cité), la xénophobie progresse dans les sondages d'opinion et d'intentions de vote. Au coeur du continent européen, l'évolution de la Suisse n'est pas la moins signifiante, car, explique un expert bruxellois, ce pays est souvent un « indicateur avancé » des politiques d'immigration. Un an après le référendum « anti-minarets », les Suisses ont voté, fin novembre, l'expulsion du territoire des délinquants étrangers.
Il n'est pas fortuit que cette vague de replis identitaires, parfois xénophobes, en Europe se soit levée depuis deux ans. Pour Laurent Wauquiez, « la crise a réveillé les craintes identitaires ». « Un environnement économique et financier difficile rend les personnes plus prudentes vis-à-vis de l'arrivée de migrants, tandis que l'attitude envers l'immigration irrégulière se durcit », complète Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée des Affaires intérieures. Qui pointe, aussi, la responsabilité des gouvernants : « Souvent le manque de leadership politique ouvre la porte aux approches démagogiques en matière d'immigration. Les extrémismes trouvent un terrain fertile là où les politiciens nationaux n'ouvrent pas un vrai débat et ne donnent pas des réponses concrètes à des problèmes tels que l'intégration des migrants et la gestion de l'immigration irrégulière. »
En attendant, ce ne sont pas seulement les discours sur l'immigration, mais les pratiques qui s'infléchissent en Europe, avec, en perspective, le retour du spectre d'« Europe forteresse ». Le durcissement effectif des politiques migratoires n'est pas l'apanage du Royaume-Uni ou des Pays-Bas, dont les nouveaux gouvernements de coalition conservateurs-libéraux se sont engagés à réduire très fortement les flux migratoires. Le nombre de titres de séjour accordés dans toute l'Union européenne en 2009 (2,3 millions) a reculé de 9 %.
Dans un espace où chaque Etat membre reste maître de sa politique d'accueil des étrangers, la Commission de Bruxelles en est réduite à agir par une voie détournée, pour favoriser la libre circulation de travailleurs non ressortissants de l'Union. Car, plaide Cecilia Malmström, « l'Europe a besoin d'immigration régulière et elle en aura de plus en plus besoin dans le futur en raison des tendances démographiques défavorables ». En dépend l'avenir de nombreux métiers de service à la personne, mais aussi d'activités hautement technologiques déjà en manque de chercheurs et d'ingénieurs. « Fermer les portes n'est pas dans notre intérêt », assure la commissaire européenne.
Ce n'est pas la voie qu'emprunte la France, plutôt à contre-courant de la vague européenne. La crise ne semble pas y avoir infléchi le choix d'une immigration « choisie » et « concertée » avec, désormais, une quinzaine de pays d'émigration. La baisse du nombre de titres de séjours y a été à peine perceptible en 2009 (- 3 %), à 175.000 -un niveau 75 % supérieur à celui de l'Allemagne. Et, sur les onze premiers mois de 2010, 182.000 titres ont déjà été accordés, soit autant que sur l'ensemble de l'année 2008. Signe éminent d'ouverture, l'accueil des étudiants étrangers y est pour beaucoup.
Seulement, en France, l'image de la politique d'immigration est surtout donnée par la ligne, plus restrictive, suivie en matière de droit d'asile (que le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, entend limiter aux « vrais dissidents ») et d'expulsion des clandestins.
Adopté par les députés début octobre, attendu au Sénat début février, le projet de loi portant de trente-deux à quarante-cinq jours la rétention des étrangers en instance d'expulsion -le temps nécessaire à la délivrance d'un laisser-passer par le pays d'origine -est cependant loin de faire de la législation française l'une des plus sévères. Il y a un an, l'Espagne a porté cette durée à soixante jours, comme au Portugal. Elle peut atteindre dix-huit mois en Allemagne.
Pour Gérard Longuet, président du groupe UMP au Sénat, « lorsque l'on regarde les pratiques migratoires des autres capitales européennes, Paris n'a vraiment pas de complexe à avoir ». Brice Hortefeux, lui, rapporte volontiers cette anecdote : dans le pacte européen sur l'immigration et l'asile adopté à l'initiative de la France en 2008, c'est le gouvernement socialiste espagnol qui a demandé, et obtenu, que « les étrangers en situation irrégulière sur le territoire d'un Etat membre » n'aient pas seulement « vocation à » mais « obligation de » quitter ce territoire.
5/1/2011
Source : Les Echos
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