Alors que le Sénat examine aujourd'hui le rapport de François-Noël Buffet (UMP) sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, des voix s'élèvent contre la transposition de directives qui réduisent les droits les plus fondamentaux des migrants. ...
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Vous allez débattre d'une quatrième loi en huit ans sur l'immigration. Présenté comme une simple transposition de directives européennes, ce texte technique et complexe vise à réduire les droits les plus fondamentaux des migrants, dont le droit à une justice équitable.
Adopté en l'état, ce projet entraînerait de graves conséquences : privés d'accès au séjour pour soins, enfermés plus longtemps, expulsés plus facilement, bannis d'Europe pendant 2 à 5 ans, les migrants seront acculés à la clandestinité, sans pouvoir faire valoir leurs droits.
Ainsi, entre autres mesures contestables, ce texte marque un grave recul du juge judiciaire, garant de la liberté individuelle. Ce juge contrôle notamment le respect des droits des étrangers arrêtés et placés en centre de rétention administrative : l'administration ne peut pas arrêter quelqu'un n'importe où, n'importe comment. Les tribunaux sont donc conduits à annuler certaines mesures d'éloignement ou de rétention, lorsqu'elles sont irrespectueuses des règles. Pour améliorer l'efficacité de la politique migratoire, ce projet de loi prévoit de passer outre le juge judiciaire.
Selon ce texte, le juge des libertés et de la détention ne sera plus saisi qu'au terme de 5 jours de privation de liberté, contre 2 aujourd'hui.
Concrètement, un étranger interpellé de façon arbitraire pourrait donc être expulsé, sur simple décision administrative durant 5 jours, avant même d'avoir pu défendre ses droits. À titre de comparaison, dans le cadre du régime de garde à vue le plus sévère, les présumés terroristes peuvent être privés de liberté durant quatre jours maximum sans contrôle du juge judiciaire. Cet allongement du délai vise manifestement à éviter le droit de contrôle du juge sur les actes de l'administration envers les étrangers.
Ce report de l'intervention du juge n'est dicté par aucun impératif de transposition d'une quelconque directive européenne. Il est même contraire à l'esprit de la directive Retour, qui exige un contrôle juridictionnel de la légalité de la rétention, « dans les meilleurs délais ».
Faut-il rappeler que l'article 66 de la Constitution dispose que « nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ? Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs maintes fois jugé contraire à la Constitution que l'administration prive durablement de liberté une personne sans réserver la possibilité pour l'autorité judiciaire d'intervenir dans les meilleurs délais.
Notre Constitution a énoncé des principes de protection des personnes contre l'arbitraire, principes repris par la Déclaration européenne des droits de l'homme. Nos gouvernants ne peuvent pas s'attaquer à ces principes mais il est un moyen de les neutraliser sans les remettre directement en cause : rendre impossible la saisine du juge chargé d'en contrôler le respect.
Patrick PEUGEOT (président de La CIMADE), François SOULAGE (président du Secours catholique) ,Christophe DELTOMBE (président d'Emmaüs France).
19/1/2011
Source : La Voix du Nord