Elles sont plus de 5.500 ouvrières saisonnières marocaines à s'être rendues au cours de l'année 2010 sur les terres de la région de Huelva en Espagne pour cueillir la fraise. La majorité d'entre elles sont mariées, divorcées ou veuves. Elles ont toutes un enfant et plus à leur charge. Pour mieux comprendre leur situation, une étude a été donc réalisée par le Centre international de recherche en méditerranée (CIREM) et le Centre national de la recherche scientifique.
Présentée vendredi dernier au siège de la Fondation Orient-Occident à Rabat, cette enquête porte sur un échantillon de 65 femmes issues de la région du Ksar El Kébir ayant déjà travaillé sur les terres espagnoles. Le document se base également sur 25 entretiens réalisés au sein même des coopératives.
Selon les résultats de cette enquête, la plupart des femmes interrogées reconnaissent ne pas connaître leurs droits. En effet, si ces travailleuses déclarent vouloir retourner pour travailler en Espagne, elles soulignent toutefois la nécessité d'améliorer les conditions de travail et de logement. D'après l'étude, 23 % de ces femmes gagnent moins de 35 euros par jour, soit moins de 1.000 euros par mois. Par conséquent, elles sont appelées à effectuer des heures supplémentaires pour arrondir leurs fins de mois et payer les dettes qu'elles ont accumulées avant leur départ en Espagne liées essentiellement aux frais de complément de dossier. Selon Chadia Arab, professeur de géographie et responsable de cette enquête, «certains contrats de travail ont été vendus à des femmes contre des milliers d'euros». La majorité de ces femmes souhaitent qu'on régularise leurs situations afin qu'elles puissent circuler librement entre le Maroc et l'Espagne.
Néanmoins, rares sont celles qui affichent le désir de vouloir s'installer définitivement en Espagne. En effet, si l'année 2002 a été marquée par une fuite importante de ces travailleuses saisonnières (sur les 500 femmes, 90 % ont «fugué» pour s'installer clandestinement sur les terres espagnoles), ce taux a été largement revu à la baisse en 2008. Année marquée par un taux de fuite de ces femmes qui n'a pas dépassé les 4,5%.
Cette baisse importante n'est toutefois pas le fruit du hasard. En effet, le gouvernement espagnol et son homologue marocain ont durci les procédures afin de lutter contre la migration clandestine. Désormais, il faudra répondre à des conditions draconiennes pour être parmi «les chanceuses» qui peuvent décrocher un contrat de travail et cela même pour une durée de trois mois.
La première condition sine qua non donc pour être choisie, c'est d'être mariée et mère d'un enfant ou plus. Résultat: plus de 89 % des ouvrières saisonnières disent avoir laissé derrière elles deux enfants ou plus âgés de moins de 15 ans. Derrière cette politique ferme de gestion du flux migratoire, nombreuses sont les femmes à payer cher le prix de «cette offre irrésistible».
Mais ces femmes ont-elles pour autant le choix ?
L'enquête révèle que 90% de ces travailleuses sont analphabètes, issues de milieux très pauvres et de familles très nombreuses. Elles reconnaissent représenter la seule source de revenu de leurs familles. «Ce travail saisonnier, effectué dans le cadre d'une migration circulaire organisée, permet à ces femmes de vivre toute l'année sur les économies réalisées, de nourrir et subvenir aux besoins de leurs familles restées au Maroc, d'acheter l'immobilier et l'électroménager nécessaires à une maison et parfois même d'acheter ou construire une maison. Certaines s'émancipent en tant que femmes et changent le regard qu'elles portent sur la vie et sur elles-même », souligne Chadia Arab. La migration a, certes, été bénéfique pour de nombreuses femmes, mais en l'absence d'un cadre légal pour contrôler les gestionnaires institutionnels de ce flux migratoire en Espagne et évaluer constamment les conditions de travail de ces employées, des dérapages sont toujours enregistrés dans les douars de Huelva.
Selon une source à la Fondation Orient-Occident, qui a préféré garder l'anonymat, les employeurs abusent souvent de la fragilité de ces femmes et de leur analphabétisme pour les exploiter financièrement, en les faisant travailler hors des heures du travail réglementaire sans indemnisation ou en les privant de conditions décentes, notamment de logement correct ou des services de transport censés les ramener de leur lieu d'habitation aux champs de fraise. L'exploitation va, selon la même source, jusqu'aux abus sexuels.
Recommandations
À la suite des entretiens directs réalisés avec des ouvrières saisonnières ayant déjà travaillé dans les champs de fraise en Espagne, la Fondation Orient-Occident a formulé un certain nombre de recommandations qu'elle a adressées aux responsables de la gestion du flux migratoire saisonnier en Espagne et au Maroc. Parmi ces recommandations, on relève la nécessité de prendre en considération les droits fondamentaux de la femme ouvrière agricole et la garantie du respect de ces droits.
La Fondation appelle aussi les gestionnaires institutionnels à prendre leurs responsabilités pour améliorer les conditions de recrutement des ouvrières et à renforcer leur accompagnement durant tout le parcours migratoire. L'importance du respect du droit du travail est aussi soulignée.
29/1/2011
Source : Le Matin