samedi 23 novembre 2024 12:05

L’immigration, parlons-en

Selon le politiquement correct, il n’y a jamais de problèmes objectifs mais des mentalités déplorables « qui créent des problèmes », la peur de l’étranger, l’attachement à son groupe quand c’est le groupe majoritaire. Ces mentalités, on cherche à les corriger en proscrivant des vocables maudits comme celui d’identité nationale. Le politiquement correct est une stratégie de redressement des mentalités par la culpabilisation qui a des effets pervers : l’opinion majoritaire y réagit en se rétractant, alors que chez les nouveaux venus, elle encourage des comportements de fermeture. Cette stratégie que la hantise du Front national a justifiée a donc produit un cycle d’accusations et de contre-accusations dont ne peut sortir qu’en revenant aux faits aussi tristes qu’ils soient, que sociologues, géographes, démographes, urbanistes nous mettent sous les yeux.

Le premier fait est qu’il n’y a pas d’immigration en général mais des immigrations, différentes selon les origines, les stratégies poursuivies, les modes d’entrée, les compétences apportées. L’immigration portugaise hier, la chinoise aujourd’hui sont différentes de l’immigration malienne. Il y a eu des immigrations politiques, une immigration de travail, il y a aujourd’hui une immigration familiale, dont fait partie le mariage au pays. Elle est d’emblée plus en marge de la société d’arrivée que les précédentes. A cause du chômage certes, mais aussi parce qu’elle est par construction communautaire, correspondant aux projets non d’individus mais de familles élargies qui la suscitent au départ et la reçoivent à l’arrivée. Cette immigration n’est pas toute l’immigration, mais la dernière couche, celle qui pose les problèmes les plus flagrants, qui se concentre dans les zones urbaines sensibles (ZUS) où elle attire les suivants, où elle garde les mœurs du pays d’origine (polygamie, famille patriarcale et autoritaire, natalité élevée, culture musulmane). Les enfants de cette immigration ont été particulièrement actifs pendant les émeutes de 2005. Ce cycle d’arrivées et d’installations pose inévitablement le problème de la régulation de l’immigration familial

Le second fait est la mobilité chez les immigrés. On connaît la rengaine : depuis environ cinq ans, rien n’a changé à La Courneuve, Clichy… En fait si la situation est la même, la population n’est pas la même. Une majorité des habitants a déménagé, quittant ces zones de relégation qui sont pour beaucoup des sas, des lieux de passage. S’il doit y avoir intégration, elle se passera ailleurs, dans ce que certains appellent la France périphérique, les grandes banlieues pauvres où des originaires du Maghreb côtoient des autochtones et espèrent comme eux une promotion scolaire pour leurs enfants.

Il nous faut affronter le développement d’une fracture au sein du peuple. La cohabitation ouvrière à l’usine et dans le quartier a été (avec l’école primaire) la matrice de l’intégration française. Dans ce cadre les autochtones jouaient à l’égard des arrivants le rôle de « prescripteurs », même si les seconds avaient droit, au moins provisoirement, à certaines pratiques communautaires. La base de cette mixité était la prépondérance reconnue de la culture nationale, telle que l’histoire l’a produite. Cette prépondérance étant en cause, un refus de cohabiter se répand de part et d’autre, une redoutable allergie mutuelle consacrée par la séparation territoriale.

On voit donc que le multiculturalisme souvent évoqué est le nom d’un problème et non d’une solution. Il y a toujours eu de l’hétérogénéité sociale et culturelle, mais cela n’empêche pas qu’il y ait nécessité et urgence de développer du commun, faute de quoi le multiculturalisme produit une libanisation et non l’enrichissement mutuel promis. Les moyens de créer du commun sont toujours les mêmes : le travail, l’école, une laïcité non pas défensive mais conquérante, interpellatrice, capable, s’appuyant sur la culture commune de faire entrer dans une logique de dialogue civique les particularités culturelles et religieuses.

Paul Thibaud,

Source : Libération.fr

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