Etre musulman aujourd'hui en Occident, c'est être placé au cœur des mutations identitaires du monde. En effet, des sociétés fortement multiculturelles se développent. Malgré ces dynamiques, les résistances sont violentes, les évolutions se heurtent à différents conservatismes déstabilisés dans leurs certitudes et leur refus du mouvement.
Les tentatives désespérées pour empêcher la progression du multiculturalisme installent les pays européens dans une tension identitaire, marquée par un repli qui n'offre aucune issue en termes de modèle de société. L'épicentre sismique de la mutation, hier l'immigration, est aujourd'hui l'islam. Mais la finalisation de l'instrumentalisation reste la même : la peur comme moteur d'une idéologie ou d'une identité.
Le "danger musulman" est positionné au cœur du discours politique des partis d'extrême droite. Mais pas seulement ! Depuis une décennie, la droite ne cesse de s'attaquer au "problème musulman" en le confondant gravement avec la question de l'immigration. Elle applique à cette religion la notion d'intégration. Erreur, car l'écrasante majorité des musulmans de ce pays sont des citoyens français. Quant à la gauche, elle renvoie, comme la droite, l'expression de cette minorité à une laïcité doctrinaire. Loin de faire vivre son principe qui, pourtant, crée les conditions d'un vivre ensemble. Cette approche incantatrice et figée ne permet pas à la jeunesse de se réapproprier cette notion.
Dans l'inconscient collectif français, le signe religieux (pas seulement physique, mais aussi celui d'une pensée en partie différente) est un signe d'aliénation. Cette attitude dogmatique s'inscrit dans le prolongement d'un regard néocolonial. L'héritage des mémoires refoulées, particulièrement celle de la guerre d'Algérie, continue d'interférer sur les représentations de l'islam.
Le retour désastreux de l'identité nationale dans le débat politique a considérablement aggravé une fracture entre les musulmans et une bonne partie de la population. Un tiers des Français considère (certes à un instant T, et ce n'est qu'un sondage) leurs concitoyens musulmans comme un "péril intérieur".
Une grande faiblesse du traitement politique et médiatique réservé à la question de l'islam est la non-prise en compte de sa diversité culturelle et cultuelle. Diversité des héritages (Maghreb, Afrique sub-saharienne, Asie, Europe et désormais "franco-français"). Diversité des interprétations et des pratiques. Diversité sociale : l'islam reste très lié à des quartiers populaires marginalisés et discriminés lorsque, dans un même temps, une classe moyenne émerge. Face à la difficulté d'appréhender la minorité musulmane, les discours politique et médiatique ont construit les figures du "musulman modéré" et celle de l'islamisme (allant des conservateurs aux terroristes).
MUTATIONS IDENTITAIRES
Les sociétés de traditions musulmanes sont, elles-mêmes, en mutations identitaires. Voilà ce qui pourrait créer des dynamiques communes et des échanges constructifs ! Dans le fond, le discours fondamentaliste est très faible religieusement et spirituellement. Paradoxalement, ce n'est pas l'islam sa base, mais l'anti-occident. Par ce fait, l'émergence d'une puissante citoyenneté occidentale musulmane annule leur lecture d'un monde binaire : Occident contre islam.
Certaines sociétés, et une grande partie des individus, ont su faire évoluer la pratique et les modes de pensée avec les aspirations nouvelles. Le besoin d'émancipation dans les sociétés musulmanes ne relève pas forcément de "l'occidentalisation", mais d'une inscription dans le mouvement des sociétés. Il se heurte aux mêmes résistances que dans notre société. Le danger de l'islamisation de l'Occident a son pendant, la peur d'une occidentalisation des sociétés musulmanes. Leur grille de lecture commune est le rejet de l'évolution des évolutions par le métissage des pensées, des modes de vie et des identités.
La culture islamique n'est pas homogène. Chaque société l'a adaptée à son temps et son histoire. Et la présence de plus en plus importante des musulmans en Europe est un facteur d'évolution de la pensée islamique. Ouvrir la porte d'un dialogue constructif serait, ici comme là-bas, porteur de dynamisme et de changements.
8/2/2011, Marc Cheb Sun et Ousmane Ndiaye
Source : Le Monde