samedi 23 novembre 2024 11:38

Entretien avec Abdellah Baïda, chercheur en littératures et critique littéraire

Agrégé de lettres et titulaire d'un doctorat en littérature et culture maghrébine francophones et comparées et actuellement professeur à l'Université Mohammed V de Rabat-Agdal, Abdellah Baida vient de publier «Au fil des livres», chroniques de littérature marocaine de langue française, Ed. La Croisée des chemins, qui présente quelques auteurs maghrébins de langue française du XXIe siècle.

LE MATIN: Quels rapports avez-vous avec la lecture ?

ABDELLAH BAIDA: J'avais pensé intituler ce livre «En lisant, en écrivant » car ce sont là deux actions simultanées qui étaient à l'origine de mon essai et qui disent tout mon rapport avec la lecture mais j'ai fini par le nommer « Au fil des livres »; le premier titre étant déjà hélas pris par Julien Gracq. Ce livre est pour moi une belle expérience de lecture car je ne me suis imposé aucune contrainte académique, c'est donc l'expression d'un rapport passionnel avec la lecture au-delà de tout utilitarisme. Et c'est justement cette passion que je souhaite partager avec le lecteur.

Quels sont les livres que vous évoquez dans votre ouvrage ?

J'ai d'abord commencé par un préambule où je donne un aperçu global sur la littérature marocaine de langue française, depuis sa naissance jusqu'à aujourd'hui, en insistant sur les grands moments et en mentionnant les grandes figures qui ont marqué cette évolution. Ceci permettra au lecteur de mieux situer les livres que j'ai abordés et qui sont tous assez récents : c'est une littérature du XXIe siècle. Ce sont des publications datant des cinq dernières années, essentiellement des récits (romans) mais aussi quelques essais, une pièce de théâtre et un recueil de poèmes… Certains écrivains choisis sont déjà très connus et confirmés, d'autres sont au commencement de leur chemin mais ils me paraissent prometteurs.

Quelles sont les œuvres qui vous ont procuré du plaisir ?

Tous les livres auxquels j'ai consacré des chroniques m'ont procuré du plaisir… J'évite de travailler sur des œuvres qui ne plaisent pas car je ne suis pas masochiste ! Mais, bien sûr, mon degré de satisfaction est variable d'un texte à un autre. Par exemple, j'aime beaucoup les récits qui bousculent les normes et qui innovent aussi bien au niveau esthétique que sur le plan des thématiques abordées. Pour donner quelques exemples, je dirais que la lecture de « Hawa » de Mohamed Leftah est un moment de bonheur, comme l'est aussi le dernier roman de Laroui « Une année chez les Français » ou bien « Les enfants de Sidi Moumen » de Mahi Binebine… L'écriture de Kilito est une invitation au voyage à travers les livres; j'ai parlé de son essai « Les Arabes et l'art du récit » mais je l'ai lu comme un roman ! Des écrivains jeunes ont également écrit des œuvres qui méritent toute l'attention… Je ne peux les citer toutes ici.

Quelles sont celles qui vous ont enchanté ?

C'est un vrai enchantement que j'ai senti en lisant trois œuvres que j'ai baptisées « Les écrits de la maturité » ! Il s'agit des derniers livres d'El Maleh (« Lettres à moi-même ») et de Khatibi (« Le Scribe et son ombre ») auquel j'ajouterai « Le livre imprévu » de Laâbi (de qui on attend encore d'autres chefs-d'œuvres !). Dans ces trois œuvres, on sent la maîtrise du genre mêlée à une certaine nonchalance jouissive… Aucun de ces livres ne s'inscrit dans un des genres canoniques, mais surtout ce qui est intéressant – sans entrer dans les détails ici – c'est que ces grands auteurs arrivent à communiquer avec le lecteur; ils ont un style – chacun à sa manière - qui vous chuchote à l'oreille !

Ceux que vous avez voulu partager avec les lecteurs ?

J'ai parlé d'une trentaine de livres sans compter ceux auxquels j'ai seulement fait allusion à tel ou tel endroit et si je publie aujourd'hui cet essai, c'est justement pour le ''partager'' avec le lecteur. C'est un florilège. J'aime bien ce mot car il cache dans son corps le terme « fleur » et transforme mon livre en bouquet, une sorte d'offrande…

N'est-ce pas prétentieux de parler des livres qui ont marqué le XXIe siècle, tant ces livres sont nombreux ?

Non, ce n'est pas prétentieux, c'est subjectif ! Et je l'assume. Précisons d'abord que je parle du paysage littéraire marocain et j'ai sélectionné des livres qui me paraissent « intéressants ». En plus des trois doyens de cette littérature que j'ai cités plus haut, la qualité des livres que j'évoque dans mon essai me paraît bonne et ce sont ces textes qui vont constituer la littérature marocaine.
Plus de la moitié des récits sur lesquels j'ai travaillé ont été publiés les deux dernières années et c'est assez difficile de prévoir ce qu'il adviendra de leur sort dans quelques années, mais moi, j'ai parié sur mon florilège !

Il faut s'intéresser à la littérature contemporaine, même s'il est plus confortable de s'appuyer sur des classiques. Cette littérature est plus proche de nous et on y décèle les préoccupations d'aujourd'hui. Le poids de la réalité est un phénomène assez frappant dans notre littérature.

Pourquoi doit-on continuer à lire malgré la ''dictature'' d'Internet ?

Pour toutes les raisons que j'ai évoquées et pour bien d'autres. Les dictatures finissent toujours par tomber comme en témoigne l'actualité. L'Internet est aussi un outil qui peut être mis au service de la lecture ! Le livre a encore de beaux jours devant lui mais, bien sûr, il faut l'aider un peu. Il faut une politique qui encourage la lecture en créant des espaces et des activités, en aidant à la publication et à la diffusion des livres, en inscrivant la lecture dans le quotidien et non uniquement dans l'''accidentel''… Ce sujet nous ramène à l'épineuse question de la culture. Celle-ci doit être déplacée de la marge où elle est reléguée actuellement vers ''le centre'' car c'est l'affaire de tout le monde.

Mon essai « Au fil des livres» est une modeste tentative qui va dans ce sens ; j'ai essayé de jouer le rôle de passeur en parlant des livres que j'ai aimés.

Qui êtes-vous M. Baïda ?

Je suis d'abord un lecteur et, de temps en temps, j'écris aussi bien des essais que de la fiction.

Mon itinéraire jusqu'ici ? Le voici de manière plus classique Je suis chercheur en littératures et critique littéraire, agrégé de lettres et titulaire d'un doctorat en littérature et culture maghrébine francophones et comparées, et actuellement professeur à l'Université Mohammed V de Rabat-Agdal. Je suis membre du bureau de la CCLMC (Coordination des chercheurs sur les littératures maghrébines et comparées) et président de la CMA (Commission du monde arabe) au sein de la FIPF (Fédération internationale des professeurs de Français). J'ai publié plusieurs travaux portant sur divers aspects des littératures de langue française, notamment ''Les Voix'' de Khaïr-Eddine (éd. Bouregreg, 2007) comme j'ai ''dirigé'' l'ouvrage ''Mohamed Leftah ou le bonheur des mots'' (éd. Tarik, 2009), « Au fil des livres », chroniques de littérature marocaine de langue française, Ed. La Croisée des chemins (Casa) & Seguier (Paris), Coll. « CCME », février 2011. J'ai également publié plusieurs autres travaux et quelques textes de création littéraire publiés à l'échelle nationale et internationale. J' anime régulièrement des rencontres avec des écrivains francophones et publie dans la presse des chroniques portant sur les nouveautés littéraires.

11/2/2011, Entretien réalisé par Farida Moha

Source : Le Matin

Google+ Google+