C’est un classique du FN : non contents d’être assistés, les étrangers seraient mieux traités en France que les Français. Le 14 février sur BFM TV-RMC, Marine Le Pen a entonné le refrain familial des étrangers qui viennent manger le pain des Français : «J’ai découvert, j’avoue que j’en suis bouleversée, qu’un étranger qui arrive dans notre pays légalement et qui a plus de 65 ans, s’il a gagné en dessous d’un certain montant, a le droit d’obtenir 750 euros par mois, alors même qu’il y a des millions de retraités dans notre pays qui vivent avec 200 euros par mois, 300 euros, 500 euros.» Quelques minutes plus tard, Le Pen remet une couche avec la couverture médicale dont disposeraient les étrangers, irréguliers : «On rembourse 100% des clandestins alors qu’un tiers de la population française renonce à se soigner par manque de moyens !»
Désintox
Commençons par cette «découverte» qui a «bouleversé» Marine Le Pen : les étrangers de 65 ans touchent 750 euros alors que des millions de Français vivraient avec des retraites de misère. Marine Le Pen fait allusion au minimum vieillesse, devenu Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) en 2004. Ce dispositif vise à s’assurer que les personnes âgées (on peut en bénéficier dès 60 ans pour les invalides, à partir de 65 ans sinon) disposent d’un minimum vital (minimum vieillesse), lequel est fixé à 709 euros mensuels en 2010 (il devrait passer à 742 euros en 2011, puis 777 euros en 2012). 600 000 personnes environ en France bénéficient de cette allocation. Mais cela ne veut pas dire, et c’est la première erreur de Marine Le Pen, que les bénéficiaires touchent un chèque de 709 euros chaque mois. Le dispositif consiste à compléter les revenus existants pour les faire arriver à ce montant qui correspond au minimum vieillesse. Ajoutons que les sommes versées au titre de cette allocation sont récupérées sur l’éventuel actif successoral dépassant 39 000 euros.
La deuxième erreur (volontaire, peut-on supposer) de Marine Le Pen consiste à suggérer que ce dispositif profite aux étrangers alors que des Français devraient, eux, se contenter de 200, 300 ou 500 euros par mois. C’est faux. L’Aspa peut certes être versée aux étrangers en situation régulière - à condition qu’ils remplissent des conditions de résidence stable en France - mais évidemment, aussi, aux Français. Selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress), 80% des bénéficiaires du minimum vieillesse en 2004 étaient des salariés ayant travaillé, mais touchant des retraites très faibles : parce qu’ils ont trop peu cotisé (le plus souvent), et parfois malgré de carrières complètes (c’est souvent le cas des agriculteurs).
Marine Le Pen joue de la même opposition entre les Français et les étrangers à propos de l’Aide médicale d’Etat (AME). La leader du Front national suggère que les clandestins bénéficient de soins à 100% alors que nombre de Français n’ont pas, eux, les moyens de se soigner. Claude Goasguen, député UMP de Paris, et autre grand pourfendeur de l’AME, avait usé de la même rhétorique, affirmant :«Il n’y a pas de raison que les étrangères en situation irrégulière aient un avantage léonin. Ou alors, que tous les Français soient à l’AME !» L’AME est un dispositif permettant un accès aux soins de base aux étrangers en situation irrégulière ne touchant pas plus de 636 euros par mois. Il est absurde de présenter ce filet de sécurité comme un privilège dont les Français seraient exclus. Les Français (ou les étrangers en situation régulière) dont les revenus sont inférieurs à 636 euros (le même seuil que l’AME) sont éligibles à la CMUC (couverture médicale universelle complémentaire), qui permet aussi une prise en charge à 100%, sans ticket modérateur.
21/2/2011, CÉDRIC MATHIOT
Source : Libération