Réintroduite par l’Assemblée nationale après avoir été écartée par le Sénat, la disposition législative ayant pour effet de permettre de retirer leur nationalité aux Français «de fraîche date», lorsqu’ils ont commis un crime contre une personne dépositaire de l’autorité publique, est une mesure grave qui demande à mon sens une analyse sans passion.
Elle est blâmable d’abord en ce qu’elle fait de la nationalité un élément susceptible de répression pénale, à l’instar de la liberté (par la prison) ou de la propriété (par l’amende). C’est un principe très ancien du droit des nations civilisées que la nationalité constitue une propriété de la personne, une caractéristique intrinsèque de son être social et politique. Il peut certes y être dérogé pour des raisons d’intérêt général, ce que le code civil prévoit pour les naturalisés en cas de terrorisme, de trahison ou de désertion. La mesure proposée franchit un pas supplémentaire en étendant cette possibilité.
Le second grief tient à la violation de l’article 1er de la Constitution, selon lequel la France assure «l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion». Comme tout principe constitutionnel, celui-ci peut comporter des atténuations à raison de la situation particulière d’une catégorie de personnes. Mais, pour considérer que la catégorie des «Français d’origine étrangère» est pertinente si on la rapporte au meurtre d’un agent de police, il faut soit considérer que ceux-ci se portent plus volontiers que les autres Français à ce type d’extrémités, ce qui n’est en rien établi, soit qu’il importerait en tout état de cause de sanctionner durement cette catégorie, sur le plan symbolique, à raison du méfait commis par un de ses membres, ce qui est inacceptable. L’article 1er peut aussi être écarté pour un motif d’intérêt général proportionné à la mesure, mais on ne voit pas lequel.
Plus généralement, cette disposition créée une catégorie de Français «en période de probation», ce qui suppose, implicitement, que la nationalité française ne peut être que celle de purs esprits, incapables de jamais commettre un délit ou un crime, ce qui est absurde. Mais surtout, elle réduit la nationalité française au rang d’une sorte de permis de conduire - et, en effet, il n’y a pas loin de ces absurdités à l’institution d’une carte d’identité à points pour les étrangers. Enfin, à supposer que le droit, la morale et le bon sens réunis justifient de telles mesures, pourquoi ne s’appliqueraient-elles qu’au meurtre d’un agent de police, d’un magistrat ou d’un douanier. L’argument est, si je comprends bien, d’obliger les naturalisés de fraîche date à une exigence particulière au moment de leur intégration. Mais pourquoi ne pas les inviter aussi à ne pas égorger les vieilles dames, les enfants, ou tout un chacun ?
On aurait tort de crier tout de suite à je ne sais quel fascisme. Personne ne peut exclure que le cynisme et la bêtise mêlés ne soient la cause de ces inepties. Reste que la nation française, dans son image, dans son allure, aura chèrement payé l’inattention, en classe de philosophie, des cancres qui nous dirigent.
21/2/2011, FRANÇOIS SUREAU
Source : Libération.fr