Cadrer la pratique de la religion musulmane en France : c’est l’un des leitmotiv de Nicolas Sarkozy. La démarche n’est pas nouvelle. C’était déjà l’un de ses dossiers lorsqu’il œuvrait, en tant que Ministre de l’intérieur, à la création en 2003 du Conseil français du culte Musulman (CFCM), l’instance représentative des pratiquants de la deuxième religion de France.
Il est revenu à la charge jeudi 10 février sur TF1 devant un panel de français. Bis repetita mercredi dernier lors d’un déjeuner avec les parlementaires de l’UMP durant lequel l’hyper président a donné son point de vue sur "La laïcité et la place de l’islam dans la République", thème d’une convention organisée par l’UMP le 5 avril.
Marine Le Pen, la présidente du FN a été la première à s’en réjouir. «La dernière fois que Nicolas Sarkozy a utilisé cela, c’était le débat sur l’identité nationale et le Front national a fait 15% des voix. Alors, encore un effort M. Copé ! Encore un petit débat, un petit bla-bla sur l’islam, la laïcité, et je pense qu’effectivement nous pourrons terminer à la présidentielle avec 25%», s’exclamait-elle vendredi 18 février sur France Info.
«Nicolas Sarkozy laboure sur le terrain de l’extrême droite», estime Abdellatif Mellouki, élu du Conseil régional du culte musulman (CRCM) de Midi Pyrénées. Entretien
Libé Toulouse : Quelle a été la réaction des musulmans suite aux récentes déclarations de Marine le Pen et de Nicolas Sarkozy ?
Abdellatif Mellouki : Ils ont peur. La majorité des musulmans pensent que l’on parle de l’islam seulement à l’approche des élections. Ils se sentent stigmatisés. Certains peuvent en arriver à rejeter leur religion pour montrer qu’ils sont meilleurs français que les autres. D’autres, malheureusement peuvent être plus sensibles aux discours intégristes.
Existe-il suffisamment de lieux de culte musulman en France ?
Abdellatif Mellouki : Depuis la création en 2003 du Conseil français du culte musulman, les choses se sont nettement améliorées. Les autorisations de rénovation et de construction de nouveaux lieux de cultes sont données beaucoup plus facilement par l’ensemble des élus. Aujourd’hui, il y a prés de 2000 lieux de culte en France métropolitaine dont 800 d’une superficie de moins de cent mètres carrés. Nous avons besoin de grandes mosquées supplémentaires uniquement dans les grandes métropoles. D’ici une dizaine d’années, au rythme où vont les constructions, il devrait y avoir assez de mosquées en France.
Quid de la formation des imams en France ?
Abdelatif Mellouki : Nous demandons, depuis longtemps, des imams de culture française, nés en France, formés à l’école républicaine. Cela prend du temps. Le problème majeur est qu’il n’y pas de statut pour ceux qui voudraient s’engager dans cette voie. Il faudrait que ces imams soient reconnus au même titre que les prêtres (salaire proche du SMIC pris en charge par le diocèse, retraite et sécurité sociale garanties par l’Etat ndlr). Jusqu’ici les imams dépendent uniquement de l’aumône des fidèles des lieux de culte dans lesquels ils officient.
Pour les imams venus de l’étranger, nous demandons à ce qu’ils aient accès à une formation «séculier-profane» universitaire spécifique (cours de français, droit, connaissance de la société française). Jusqu’ici seuls quelques instituts catholiques ont accepté de le faire.
Les représentants du Conseil français du culte Musulman travaillent sur l’ensemble de ces questions. Nicolas Sarkozy le sait mieux que quiconque. Il s’est en effet beaucoup impliqué dans la création lorsqu’il était Ministre de l’Intérieur. Aujourd’hui, il fait comme si cette instance représentative n’existait pas. C’est de la démagogie. Au lieu de surenchérir sur le discours de l’extrême droite, il ferait mieux d’élever le débat.
23/2/2011, Jean Manuel Escarnot
Source : Libération