En France, la classe politique, et spécialement la gauche, a manqué de courage sur ces sujets. En prétextant bâtir une politique d'intégration, elle a instauré – en contradiction avec nos valeurs – le droit à la différence et fondé des droits différents. Et c'est dans l'incapacité de répondre aux problèmes de délinquance, que la culture de l'excuse s'est généralisée.
Cette "fuite des responsabilités" a conduit à une incapacité à résoudre les problèmes d'une immigration mal maîtrisée et d'une délinquance en hausse. Elle a laissé le champ libre au développement des tensions sociales puis à la montée des extrêmes ! A la politique utopique – voire cynique – d'une certaine gauche avec "le droit à la différence" répondait le "immigrés dehors" de l'extrême droite.
En conséquence, beaucoup de nos compatriotes ont été déstabilisés. Plus grave encore, beaucoup d'entre eux ont été abandonnés. On a vu de véritables ghettos se créer, un déclassement social généralisé s'opérer dans l'indifférence. On a vu ceux qui se battaient pour s'intégrer, et qui voulaient tirer la France vers le haut, se décourager et perdre espoir.
S'apercevant que le "droit à la différence" était un piège, certaines personnes immigrées ou d'origine immigrée se sont repliées sur leurs différences, en glissant vers un communautarisme qui leur semblait rassurant. D'autres ont profité de ce repli pour les radicaliser : "ces victimes" se transformaient alors en menaces pour nos valeurs républicaines ! Cela n'est pas acceptable dans une grande démocratie.
Notre pays ne sort jamais grandi de situations où la peur dicte l'action, où la caricature prend le pas sur la réalité. On ne gagne pas une élection en opposant les uns aux autres. La victoire par la peur, c'est la défaite de nos valeurs.
Notre modèle d'intégration est malade, c'est une évidence. Mais, il n'est pas trop tard pour le revivifier. Ne désespérons pas ceux, trop nombreux, Français, qui aiment notre pays et qui se sentent aujourd'hui de plus en plus stigmatisés : hier les immigrés, aujourd'hui les musulmans.
Nous avons, en France, longtemps été enviés pour notre modèle d'intégration, un modèle fondé sur la mixité sociale, la méritocratie, ou encore sur le partage et le respect de valeurs communes fortes comme la laïcité. C'est un modèle qui a permis à beaucoup d'enfants d'immigrés d'avoir la possibilité d'aimer, de servir et d'honorer la France.
REVALORISER LES VECTEURS TRADITIONNELS DE L'INTÉGRATION
Une société qui sait intégrer, c'est une société qui fait attention à ce que les vecteurs traditionnels de l'intégration soient revalorisés : l'école, la formation, ou encore l'emploi. C'est aussi une société qui est soucieuse de la promotion de nos valeurs, comme la liberté de conscience, l'égalité femmes/hommes ou la laïcité. Elles doivent être soutenues et sans cesse rappelées !
L'école de la République offre-t-elle aujourd'hui les mêmes chances, les mêmes espoirs qu'à l'époque où Jules Ferry la rendait laïque, gratuite et obligatoire ? En priorité, nous devons de manière urgente répondre aux problèmes de l'illettrisme (près de 20 % d'enfants en fin de CM2), et à l'insertion des jeunes (plus de 40 % des jeunes sont au chômage aujourd'hui dans les quartiers populaires).
Avec humilité, reconnaissons que la politique de la ville a été un échec. Par fatalisme ou par manque d'ambition, nous avons préféré "aménager les ghettos" plutôt que de mener une véritable politique de fond. Il n'est pas trop tard pour inverser cette tendance.
Si la mondialisation a accru la mobilité, elle a nécessairement joué un rôle dans la progression des religions. C'est vrai pour l'islam, même si elle n'est pas la seule. Seulement, aujourd'hui on parle plus de l'islam que d'autres religions. Pourquoi ? Sans doute, parce que l'islam a été dévoyé par un petit nombre pour justifier l'intégrisme ou même des actes terroristes. Ce dévoiement suscite aujourd'hui des peurs.
Un débat aujourd'hui sur la place de l'islam dans notre société doit être l'occasion de calmer ces craintes, et non de les alimenter. Il faut pouvoir en parler sereinement, sans tabous, tout en se gardant de toute instrumentalisation, de tout raccourci, et de toute stigmatisation.
Il faut également rompre avec les préjugés ! Les musulmans, dans leur grande majorité, ne sont pas dans la défiance vis-à-vis de la République. Souvent stigmatisés, on les voit rarement descendre dans la rue manifester ! Alors que certains ont voulu réduire la loi contre le port du voile intégral et la loi sur le port des signes religieux à l'école à des lois anti-islam, le Conseil français du culte musulman a appelé à leur application.
Notre République est fondée sur un principe de laïcité. La laïcité, ce n'est pas la négation de la religion ou le dénigrement d'une religion par rapport à une autre. C'est au contraire l'acceptation de toutes les religions, dans le respect strict de la liberté de pensée des autres et de la neutralité de l'Etat.
Les prières dans les rues ? Nous les avons tolérées, acceptées, et il faut le dire, par manque de courage politique. Alors que les outils juridiques existent pour empêcher cela : celui de l'ordre public et de la liberté de circulation. Et les musulmans ne revendiquent pas le droit de prier dans la rue ! Nous pouvons trouver une solution à ce problème de manière sereine et dépassionnée.
Très peu de gens, vivant en France aujourd'hui, refusent de s'intégrer, malgré ce que l'on entend. La réalité, c'est que notre système est en panne. Je suis plus que jamais convaincue que le "réparer" doit être aujourd'hui notre priorité : la France en sortirait grandie et serait ainsi à nouveau, dans ce domaine, un exemple pour le monde.
24/2/2011, Rachida Dati, députée européenne
Source : Le Monde