samedi 23 novembre 2024 14:43

L’invasion de l’Europe n’aura pas lieu

Le Centre Jacques Berque a réuni lundi et mardi à Rabat, des experts autour de la question migratoire. Selon eux, l’invasion post-révolutions arabes n’aura pas lieu. Quant aux restrictions juridiques et réglementaires, elles ne font qu’aggraver la situation des migrants, sans diminuer leur flux.

Les mouvements sociaux qui secouent actuellement le monde arabe poussent chacun à s’interroger sur leurs conséquences. L’une d’entre elles a été illustrée par les milliers de migrants tunisiens qui ont débarqué sur l’île italienne de Lampedusa au lendemain de la chute du régime de Benali. Le Centre Jacques Berque (CJB) pour les études en sciences humaines et sociales a réuni, lundi et mardi derniers à Rabat, plusieurs experts autour de la thématique « Immigration, changement social et changement juridique au Maghreb ». Le démographe Hervé Lebras répondait à ceux qui craignent la vague migratoire vers l’Europe. Citant Adam Smith, il a rappellé que «de tous les bagages, l’Homme est le plus difficile à remuer». Appuyant cette idée, le géographe Julien Brachet a affirmé que «la majorité des migrants ne cherchent pas à quitter le continent africain».

Pourquoi alors continuer de nourrir la crainte d’un spectre migratoire qui s’abattra prochainement sur l’Europe ? Pour Julien Brachet, de l’Institut de recherche pour le développement, « l’objectif est de légitimer les restrictions imposées aux migrants illégaux et la manière dont ils sont traités ». Et des changements juridiques, il y en a eu beaucoup. Les refoulements collectifs de migrants ne surprennent même plus. Seulement, les flux de migrants n’ont pas pour autant enregistré des baisses notoires

Ne pas oublier l’éthique

Au-delà de l’aspect économique de la question migratoire, les intervenants ont soulevé l’aspect éthique, souvent laissé pour compte. Hervé Lebras, de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, a commencé par rappeler que «l’enfant qui naît n’est pas responsable de son lieu de naissance». La question migratoire a ainsi permis le retour des questions des droits de l’Homme, qui sont « sortis du huis clos national », comme l’analyse Ali Bensaâd, du CJB. Evoquant le phénomène du «brain drain», (fuite des cerveaux), plusieurs intervenants se sont indignés de la responsabilité qui pèse sur les épaules des migrants.

«Les individus ne sont pas des molécules dans un espace a-social et a-économique, qui vont venir combler les vides dans tel ou tel pays», souligne Hervé Lebras. Quant au raisonnement qui soutient que les immigrés coûtent plus qu’ils ne rapportent, il n’a pas l’appui de certains chercheurs qui ont étudié la question de près. «S’il avait fallu « produire » cet immigré, ça aurait coûté encore plus cher. Là, il arrive adulte, et formé», explique encore le démographe. « On devrait rembourser les pays d’origine », va-t-il jusqu’à proposer avec le sourire.

Faut-il pour autant laisser les migrants circuler librement ? Pour Khadija Elmadmad, titulaire de la Chaire UNESCO «Migration et Droits Humains», il faut revenir à l’application du droit traditionnel, qui promeut une liberté de circulation et d’installation. «Nous sommes passés de frontières socioreligieuses à des frontières géographiques» indique-t-elle. Seulement, dans la pratique, la répression n’est pas toujours appliquée. «Au Maroc, il y a des hésitations.Si la législation est répressive, dans la pratique il existe toujours des îlots où le droit traditionnel est appliqué et où l’hospitalité a encore sa place».

Les Subsahariennes s’installent

Une des preuves que les migrants subsahariens ne quittent pas forcément le continent a été donné par Mohamed Berriane, de l’équipe de Recherche sur la Région et la Régionalisation de Rabat. D’après cette équipe, un nouveau phénomène a vu le jour, à savoir l’installation de plusieurs Subsahariennes seules dans des villes marocaines. Leurs conjoints sont en général des immigrés établis en Espagne et en Italie, qui viennent régulièrement leur rendre visite au Maroc. Pour la plupart Sénégalaises, ces femmes qui n’ont pas besoin d’un visa pour séjourner au Maroc, sont obligées de quitter le territoire au bout de trois mois. Elles partent le plus souvent «pointer» en Mauritanie avant de rejoindre à nouveau le Maroc avec trois mois supplémentaires à leur actif.

2 mars 2011, Selma Tannouche Bennani

Source : Le Soir

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