En marge du colloque sur les politiques migratoires, tenu ces deux derniers jours à Rabat, le chargé des relations extérieures du HCR, Marc Fawe, nous a accordé un entretien dans lequel il revient sur l'état d'avancement des négociations engagées avec le gouvernement marocain sur sa politique d'asile.
Depuis plusieurs mois voire années, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Rabat est en négociation avec le gouvernement marocain pour la mise en place d’un cadre législatif et institutionnel d’asile propre au pays. Que faudrait-il réformer dans le cadre juridique actuel ?
Il n’y a rien à réformer; il s’agit plutôt de construire des choses qui n’existent pas encore de manière formelle. Au niveau légal, il y a déjà des bribes d’éléments, dont les plus anciennes remontent à 1957 avec le Dahir sur le Bureau des réfugiés et des apatrides, dans la poursuite de la ratification par le Maroc de la Convention de Genève laquelle n’a jamais été appliquée dans tout son sens. Mais cela reste très ancien et de surcroît, le Bureau en question a cessé toute activité depuis 2004.
Il y a aussi eu cette fameuse loi 0203 sur l’entrée et le séjour des étrangers dans le territoire marocain adoptée en 2003. Elle contien un petit paragraphe qui concerne les réfugiés mais c’est loin d’être suffisant pour un cadre clair et précis qui nous permettrait de savoir comment accueillir les demandeurs d’asile, comment procéder à la détermination du statut de réfugiés et comment encadrer ces personnes.
Où en sont vos négociations actuelles avec l’Etat marocain ?
Des progrès significatifs ont été notés suite aux échanges entre le HCR et les partenaires institutionnels marocains, à savoir les ministères des Affaires étrangères, de la Justice et de l’Intérieur. A terme, nous nous acheminons vers l’élaboration d’une nouvelle loi sur le droit d’asile. Nous sommes confiants quant à l’institution dans les mois ou années à venir, d'un cadre juridique et législatif clair car pour l’heure, les résultats sont assez encourageants.
Est-ce à dire que vous ressentez une réelle volonté politique de la part des autorités marocaines à résoudre de manière définitive ce problème ?
La volonté politique existe depuis longtemps et ça a presque toujours été le cas. Cependant, ce sont des processus et des procédures qui prennent énormément de temps parce qu’il y a des tas de considérations qu’on ne maîtrise pas toujours. La question du Sahara par exemple, en est un facteur déterminant. Un autre élément essentiel, c’est que malgré toutes les relations et les discussions entre le Maroc et l’Union européenne, la politique de l’asile ne figure pas comme une priorité dans l’agenda européen. Les échanges sont surtout focalisés sur les questions ayant trait aux droits de l’Homme et à la démocratisation.
Sur le terrain, avez-vous noté un changement de comportement de la part des autorités policières marocaines à l’égard des réfugiés mais aussi des migrants ?
Pour les migrants, je ne peux que me référer à la presse locale et que tout le monde sait déjà, à savoir les arrestations et reconduites à la frontière plus massives qui ont eu lieu en août, décembre et janvier derniers. Par contre, pour les réfugiés et les demandeurs d’asile, il y a une évolution très positive depuis 2005. En 2010, nous n’avons répertorié que six reconduites à la frontière qui ont pu être évitées par l’organisation marocaine des droits de l’Homme. Même lorsqu’il y a des arrestations parfois, ce sont les policiers eux-mêmes qui téléphonent au HCR.
Actuellement, le Maroc accueille 800 réfugiés. C’est presque insignifiant comparé à d’autres pays comme l’Allemagne qui en accueille 600.000 ou encore le Pakistan avec plus d’un million de réfugiés. Pourtant certains préjugés persistent quant à l’accaparement d’une partie de la richesse du pays par ces réfugiés sachant que le Maroc enregistre un fort taux de chômage. Qu'en pensez-vous ?
C’est une question qui revient souvent lorsqu’on parle de migrants. Pour ma part, j’ai trois éléments de réponse à donner à ce type d’argument. La première chose, c’est qu’au Maroc, le nombre de réfugiés est vraiment très limité et malgré un taux de chômage très élevé notamment chez les jeunes, ce ne sont pas 800 réfugiés qui vont influer de manière significative sur la baisse ou non du chômage. Par ailleurs, le Maroc a ratifié de manière volontaire la convention de Genève, ce qui signifie que l’Etat marocain s’est engagé à accueillir sur son territoire des réfugiés. Cela fait partie de la répartition du “fardeau” des réfugiés à travers le monde où chaque pays ayant ratifié ladite convention, s’engage à prendre en charge un nombre déterminé de réfugiés. Le Maroc est soutenu dans cette tâche par le HCR mais aussi par des bailleurs de fonds qui sont prêts à intervenir financièrement pour l’intégration de ces réfugiés dans la société marocaine.
Le deuxième élément de réponse, c’est que parmi ces réfugiés, il y a certes des personnes d’origine humble comme des agriculteurs ou des ouvriers mais il y a aussi des médecins, des infirmiers, des professeurs. Si cette catégorie arrivait à s’intégrer même si leur nombre reste assez limité, elle ne serait pas un fardeau mais un véritable apport pour le Maroc. Dans n’importe quel pays où un migrant s’installe, il absorbe une partie de la richesse nationale, mais il peut aussi contribuer de manière significative au bien-être de cette société.
Le troisième élément, c’est qu’il y a un indicateur qu’on utilise au niveau du HCR pour voir quelle est la charge que représentent les réfugiés dans l’économie nationale. Par exemple, la contribution du Pakistan qui est pourtant un pays en conflit, est 10.000 fois supérieure à celle du Maroc.
On parle énormément de la position marocaine sur ce sujet mais quelle est la position et quel est le rôle des représentations diplomatiques des pays d’origine de ces migrants ?
Il y a deux catégories de réfugiés: la première qui regroupe des réfugiés qui partent de chez eux parce que l’Etat dans lequel ils vivent ne peut pas les protéger, et la seconde qui concerne ceux qui sont menacés par leur propre Etat (ndlr: cas des réfugiés politiques). Dans le premier schéma, le problème ne se pose pas, nous sommes en contact régulier avec leur représentation diplomatique. C’est dans le deuxième cas de figure que les choses se compliquent car on ne peut pas mettre le réfugié en contact avec son ambassade vu que c’est son propre Etat qui le menace et que ce serait le meilleur moyen de retrouver sa trace et de le persécuter à nouveau.
Mais le HCR, en partenariat avec certaines ONG, assure des rencontres plus ou moins régulières avec les consuls des pays d’origine afin de discuter des problèmes relatifs à leurs ressortissants. Mais on ne peut pas s’attendre à de grands résultats de leur part quand bien même des efforts sont fournis.
2/3/2011, Ana Lopes
Source : Aufait