Après des polémiques en son sein, la majorité fait marche arrière : la réflexion en vue d’une «convention» le 5 avril est désormais censée porter sur la laïcité.
Pschitt… Le débat se dégonfle. Annoncé tambour battant fin 2010 par Nicolas Sarkozy et par Jean-François Copé, il devait permettre de poser «sans tabous» la question de l’islam et des valeurs de la République. Avec la liquidation des 35 heures, ce devait être l’un des grands sujets de campagne de la droite pour 2012. Quelques semaines de polémiques plus tard, les stratèges de la majorité ont entamé la marche arrière. Réflexion faite, il a été constaté que l’islam ne pouvait être sujet de débat. On se contentera donc de quatre semaines de réflexion sur le respect de la laïcité. Le temps de préparer la «convention» du 5 avril prochain. Après cette date, il sera temps de passer à autre chose, au grand soulagement des très nombreuses voix qui, d’Alain Juppé à François Fillon, ont mis en garde contre les risques de dérapage.
Hier matin, à l’issue du bureau politique de l’UMP, le secrétaire général du parti Jean-François Copé a toutefois tenu à sauver les apparences : «Non ! Non! On ne va pas reporter le débat. Le débat, il a bien lieu le 5 avril.» Mais il s’agira de débattre sur «le pacte républicain» et «la laïcité», la place de l’islam en France n’étant «qu’un des éléments constitutifs» du débat. Mardi matin, à l’Elysée, lors de la réunion hebdomadaire des dirigeants de la majorité, le chef de l’Etat s’était bien gardé de préciser de quel sujet il était finalement convenu de débattre. «Il n’a pas vraiment tranché et est resté très flou sur l’intitulé du débat», rapporte un participant. Il y a quinze jours encore, il était beaucoup plus allant. Il fallait parler de tout, des minarets comme des menus halal et des imams étrangers. Et ce débat sur la compatibilité de l’islam avec les lois de la République devait éventuellement déboucher sur une résolution parlementaire.
«Agacement». Le ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, chargé de la préparation du programme de l’UMP pour 2012, a reconnu hier que le mot «débat» était assez malheureux. Selon lui, dans la République laïque, un parti politique n’a pas à débattre d’une religion, quelle qu’elle soit. François Fillon a fait le même constat : «C’est le mot débat qui agace», a-t-il déclaré mardi devant le groupe UMP, après avoir prévenu qu’il s’opposerait à toute initiative susceptible de «stigmatiser» les musulmans.
Mardi, lors de la séance de questions d’actualité, le Premier ministre avait été très vivement interpellé par Hervé de Charette, député centriste et ancien ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac : «Il est bien étrange que dans le pays de la laïcité, les responsables politiques organisent un débat sur la pratique d’une religion», s’est-il étonné avant de dénoncer une initiative qui conduit «non pas à débattre mais à inquiéter, non pas à rassembler mais à opposer les Français entre eux», le tout au nom de «je ne sais quel obscur calcul politicien». Dans sa réponse, François Fillon a assuré qu’il s’agissait en fait de «réévaluer le principe de laïcité» afin que les musulmans puissent «vivre leur foi librement et dignement». Pas sûr que l’explication ait convaincu Hervé de Charette et se amis centristes, de plus en plus critiques envers les initiatives du chef de l’Etat.
«Crédibilité». La «confédération des centres», regroupée autour de Jean-Louis Borloo, a annoncé hier qu’elle s’opposerait à l’extension de la déchéance de nationalité aux assassins de policiers, mesure annoncée à Grenoble et discutée la semaine prochaine dans le cadre de l’examen du projet de loi sur l’immigration. Non, il n’y a rien d’électoraliste dans cette initiative, proteste Copé, agacé par «les ardeurs» de ceux qui, à droite comme à gauche, se sont employés à faire capoter ce débat «voulu par le président de la République». Et d’affirmer que contrairement à la gauche sur les questions de l’islam et de la laïcité, «le bilan du centre et de la droite sur les dix dernières années plaide pour leur crédibilité». Copé a rappelé hier devant le bureau politique «la loi burqa» de 2010 ainsi que «les rapports Stasi et Baroin, l’interdiction du voile à l’école et la création du Conseil français du culte musulman» en 2003. A ce propos, il se garde bien de rappeler que le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, n’était pas défavorable à une réflexion sur l’aménagement de la loi de 1905, afin de donner aux musulmans de France les moyens de construire les lieux de culte dont ils ont besoin.
A l’occasion de la convention du 5 avril, le patron de l’UMP a promis «des propositions très concrètes» sur «la formation des imams», les lieux de cultes, «la viande halal» et les «comportements dans les hôpitaux». Mais pas question de «toucher à la loi de 1905». Pour avoir osé évoquer cette hypothèse, le secrétaire d’Etat au Logement, Benoist Apparu, a été sévèrement réprimandé par tout l’état-major de l’UMP, à l’exception notable de l’ancienne maire de Strasbourg, Fabienne Keller, et du toujours maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin. Ces résistants à la ligne Copé ont reçu hier le soutien d’Alain Minc. Il a proposé hier d’en finir avec «l’hypocrisie» qui consiste à dénoncer les prières de rue sans se donner les moyens d’y mettre fin. Ce proche de Nicolas Sarkozy suggère «un texte temporaire» pour pouvoir financer normalement la construction de lieux de culte musulmans. Ce débat-là ne fait que commencer.
3/3/2011, ALAIN AUFFRAY
Source : Libération