Nicolas Sarkozy redoute des «flux migratoires incontrôlables, avec l'Europe en première ligne». «En aucun cas, on ne peut s'alarmer», répond Youssef Courbage, directeur de recherche à l'Institut national des études démographiques (Ined).
Quelle est la réaction du démographe que vous êtesau risque d'immigration massive en provenance du Maghreb et du Machrek?
Si l'on regarde les tendances à long terme, il y a un net ralentissement des flux migratoires en provenance du Maghreb, dû à la transition démographique avancée des pays qui le composent. Les naissances avaient diminué à partir des années 1970, surtout au Maroc et en Tunisie, un peu plus tard en Algérie, ce qui fait que vingt ans après, la pression sur le marché de l'emploi tend à décélérer. Ces trois pays d'émigration vont devenir, à terme, des pays d'immigration. C'est déjà le cas! Ils accueillent un grand nombre d'immigrés, de réfugiés économiques d'Afrique subsaharienne.
Quel scénario envisagez-vous?
Les pays du Maghreb sont appelés à connaître fatalement le même processus que les pays de l'Europe du Sud, c'est-à-dire l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Grèce, qui, de pays d'émigration se sont subrepticement transformés en pays d'immigration.
Pourquoi alors cet effet de «panique»?
Si vous prenez le très court terme, c'est vrai que Lampedusa a créé une panique. On a vu débarquer près de 5.000 Tunisiens qui venaient du pays le plus pourvu de la région. Des gens ont pensé que ce n'était que le début d'un long processus, que nous allions être envahis pas les immigrés du Maghreb... Or, ça n'est qu'un fantasme. D'une part, il est normal qu'un processus révolutionnaire, comme c'est le cas en Libye, en Tunisie, et peut-être bientôt en Algérie, crée une panique. Toute révolution, a généré un flux d'émigrés. Regardez la révolution russe et ces Russes blancs qui se sont installés en Europe ou en Amérique. La révolution chinoise a sécrété Taïwan, une île sécessionniste qui a reçu plusieurs centaines de milliers de réfugiés chinois du continent. Par ailleurs, on constate aujourd'hui que les réfugiés qui quittent la Libye ne traversent pas du tout vers l'Europe. Ils vont, qui en Tunisie, qui en Égypte, selon qu'ils habitent plutôt du côté de Benghazi ou de Tripoli. En aucun cas, on ne peut s'alarmer. Au contraire, il faut avoir un discours un peu plus serein et accompagner la transition politique de ces pays.
Que pense le démographe de l'immigration vers l'Europe?
Je ne suis pas contre. L'Europe est beaucoup trop frileuse. Aujourd'hui, les pays qui réussissent dans le monde, d'un point de vue géopolitique et économique, sont des géants sur le plan démographique. C'est la Chine, l'Inde, les États-Unis, des pays qui ont une politique d'accueil des immigrés beaucoup plus ouverte que la politique européenne. Si l'Europe continue à se fermer, et sachant qu'elle fait très peu d'enfants - sauf la France -, elle va être débordée cette fois par la révolution des «tempes grises» et avoir une population active qui va dégringoler...
4 mars 2011
Source : Télégramme