samedi 23 novembre 2024 14:13

Les Marocains de Libye : Un lendemain incertain

Dimanche 6 mars, vers 7h00. Le navire Barken vient d'accoster au port Tanger Med. A son bord, près  de 1.500 ressortissants marocains résidant en Libye qui ont fui le chaos libyen. Khaled, 26 ans, fait partie de ces heureux rescapés.
Sous une pluie douce et clémente, Khaled pousse doucement ses deux valises et sur son visage se lisent la fatigue et l'inquiétude. Originaire de Béni Mellal, il a dû quitter le Maroc après quelques années de galère  pour chercher un avenir meilleur.
Son destin l’a conduit à Tripoli. Il a  travaillé comme platrier-staffeur et gagne bien sa vie. Les Libyens sont très généreux et apprécient la qualité du travail des maçons marocains. “Mon salaire a été de 1000 DH voire 1500 par jour. Parfois, je gagnais plus de 10.000 DH par mois”, a-t-il raconté.

Mais le vent a mal tourné. Khaled n'a pas eu le temps d’assurer ses arrières. Aujourd'hui, il a presque tout perdu. S'il est arrivé à sauver quelques millions de centimes, il estime qu'il ne va pas tarder à faire la manche d'ici quelques mois si la situation ne s'améliore pas.

Khaled a toujours envisagé un avenir radieux et ne s’est  jamais fait de soucis  du lendemain. Il s'est habitué à vivre pleinement sa vie. Mais la révolte a tout changé. Son rêve en Libye s'est transformé en cauchemar ; il doit maintenant composer avec une réalité atroce. « On se  trouve du jour au lendemain sans boulot, sans argent et sans toit, c'est affreux», a-t-il confié. Maintenant, il n'a qu'une seule envie : dormir et ne jamais se réveiller.

Pour ces 1500 Marocains rapatriés, le retour au pays n'a pas été de tout repos. Il a fallu attendre de trois à quatre jours l'arrivée de bateaux et parfois faire des allers et retours dans des conditions lamentables. “On est resté carrément dans le froid, sans manger ni boire”, s'est  lamenté Ahmed, 33 ans, salarié.

Pour lui,  accéder au port est une vraie aventure, car il faut déjouer les chekpoints et monnayer les mercenaires qui hantent les rues désertes de Tripoli. “Les yeux des milices de Khadafi sont largement ouverts sur tout ce qui bouge dans la capitale”, a-t-il souligné.
Pourtant, il n'a pas été le seul à témoigner, plusieurs rapatriés ont rapporté que pour accéder au port de Tripoli, il faut passer près de 30 barrages. “Et à chaque passage, il faut craindre le pire, car  si on tombe entre les mains des mercenaires du Polisario,  notre sort est incertain”, a dit Khaled qui se souvient encore du calvaire de son ami qui a été arrêté et torturé pendant  huit jours dans une prison libyenne. Son crime: avoir un passeport marocain.

Khaled a indiqué que ces mercenaires sont sans pitié. Ils confisquent tout : argent, téléphone portable, habits, bijoux, parfois puce de téléphone ; une manière, selon eux, de contrôler les informations du pays... Pour Khaled, la situation sécuritaire est déplorable à Tripoli malgré une accalmie apparente. La tension est palpable et les rues sont désertes. Un silence lourd pèse sur la ville ; seul un coup de feu brise ce silence dur à supporter. “J'ai dû  partir parce qu’on vit dans un peur permanente. Et  toutes les possibilités sont à envisager. Des attaques-surprise, des actes de vengeance”, a déclaré Ali, 48 ans, père de famille.  S'agissant du conflit actuel, difficile d'arracher un mot. Les Marocains veulent rester neutres. Pas question de s'immiscer dans les affaires intérieures des Libyens. Prudence ou pragmatisme? Difficile à dire, mais quelle que soit la réponse,  pour eux, la politique porte préjudice aux affaires. Les Marocains sont respectés et ont une meilleure réputation. Une qualité qu'il faut soigneusement préserver, s'ils envisagent d’y retourner un jour. Certains n'hésitent pas à déclarer que si ce conflit était déclenché par une force étrangère, ils n’hésiteraient pas à prendre les armes et combattre aux côtés des Libyens.

Cependant, leurs histoires sont de vrais drames. Sous cette tente de soutien psychologique, les témoignages se succèdent et se ressemblent. Les gens racontent leur détresse, leur peur et leur inquiétude face à un avenir incertain. Pour eux, leur avenir en Libye dépend en grande partie du nouveau régime qui sera mis en place. Certains envisagent le pire: une expropriation, un rapatriement massif  vers le Maroc ou une confiscation collective des biens, l’exemple algérien étant encore vivace.  D'autres gardent espoir, et envisagent un retour proche. Mais, la question d'urgence : que vont-ils faire au Maroc? Pour beaucoup, ce retour a été difficile à assumer vu les conditions dans lesquelles il s’est déroulé. Ils ont dû abandonner leurs biens, leurs maisons. Pire, leur pays. Une grande majorité d'entre eux se considèrent comme des Libyens. Ils se sentent plus Libyens que Marocains. Ils sont bien intégrés dans la société. La plupart  ont quitté depuis longtemps le Maroc. Pour eux, ce retour ressemble à un vrai déphasage culturel. “Quitter une société conservatrice et tribale pour retourner dans un pays qui vit au rythme des mutations sociales et culturelles, cela peut choquer certaines personnes”, a constaté Ismail, étudiant.

Mais pour Khaled, ce débat est loin de le préoccuper, il a d'autres soucis à se  faire. Il scrute sa montre, il est 11h00. Il est  peut-être temps d'y aller. Demain sera un autre jour.

8 Mars 2011,  Hassan Bentaleb

Source : Libération

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