Sous la pression des députés centristes, le gouvernement a reculé, hier, sur le retrait de la nationalité. Et irrité l’aile dure de l’UMP.
Qu’il est doux, le printemps centriste. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, les amis de Jean-Louis Borloo ont sorti leurs sourires des grands jours. Ils ont fait reculer Nicolas Sarkozy. La «droite sociale et modérée» a triomphé de la «droite dure», expliquent-ils à qui veut l’entendre.
Ce mardi matin, lors de la réunion hebdomadaire des députés UMP, le Premier ministre, François Fillon, a confirmé que le gouvernement renonçait à légiférer sur la déchéance de la nationalité à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’immigration. Mesure phare du discours de Grenoble, coup d’envoi du virage sécuritaire en juillet, la déchéance visait les personnes devenues françaises depuis moins de dix ans qui se seraient rendues coupables de crime à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité de l’Etat.
«Calmement». Largement dénoncée en raison de son caractère aussi démagogique qu’inefficace, cette mesure avait déjà été rejetée par la majorité des sénateurs. Et l’Assemblée menaçait d’en faire autant, puisqu’une soixantaine de députés du Nouveau Centre et de l’UMP avaient signé vendredi soir l’amendement de suppression. Pour l’ex-ministre de l’Ecologie, promoteur de la «confédération des centres», ce recul a valeur de démonstration : «Dès lors que les modérés s’organisent, on voit qu’ils peuvent faire. Cette disposition sur la déchéance n’avait rien à faire dans un projet de loi sur l’immigration. Calmement, tranquillement, nous avons imposé un vrai rééquilibrage», explique-t-il à Libération.
Salle des Quatre Colonnes, au rendez-vous de la presse et des parlementaires, les proches de Borloo, Laurent Hénart (UMP) et Jean-Christophe Lagarde (Nouveau Centre), proclament en duo l’avènement d’une ère nouvelle. «C’est un fait : la majorité est composée de deux courants. L’un conservateur, l’autre social. Aujourd’hui, un nouvel équilibre s’est instauré entre ces deux courants», explique le premier. «Nous avons désormais une majorité équilibrée. Ce que nous avons fait aujourd’hui à propos de l’immigration, nous pourrons le refaire demain sur la fiscalité ou sur la dépendance», ajoute le second, député-maire de Drancy (Seine-Saint-Denis). Selon lui, le bouclier fiscal n’aurait jamais été voté si les centristes de toutes obédiences avaient su se rassembler dès 2007.
Dans l’entourage de François Fillon, on assure que Borloo et ses amis exagèrent beaucoup : «Le chef de l’Etat lui-même avait expliqué que, si la déchéance était abandonnée, il n’en ferait pas une affaire.» Devant les députés UMP, le Premier ministre assure qu’il faut bien faire quelques concessions au nom de l’efficacité : «Si chacun campe sur ses positions, on va vers un désaccord. Le texte ne sera pas voté et, cet automne, Claude Guéant n’aura pas les moyens de lutter contre l’immigration clandestine.» C’est l’argument massue : il faut donner au ministre de l’Intérieur les moyens d’agir.
«Bobos salonards». En début de soirée, dans l’hémicycle, Claude Guéant développe le même point de vue dans son premier discours. «C’est dans ce contexte historique très particulier que s’engage notre discussion générale», commence le ministre, évoquant le «risque réel» d’un «afflux soudain de migrants» lié aux bouleversements dans le monde arabe. «Aujourd’hui encore plus qu’hier», il est donc urgent de légiférer, car «notre pays ne peut pas devenir la terre d’accueil de tous ceux qui cherchent à quitter leur pays».
Dans ces conditions, Guéant justifie le rejet de l’article sur la déchéance. Cette disposition, «fortement symbolique», a retenu l’attention «de façon excessive» puisqu’elle qu’elle ne concernerait «même pas un cas par an». Et, comme elle trouve «un large écho dans la population française», Guéant propose qu’elle soit envisagée par la mission de réflexion sur la nationalité française «dirigée par Manuel Valls et Claude Goasguen».
Défaite par Borloo et les siens, la droite de l’UMP ne décolère pas. Le député-maire de Nice, Christian Estrosi, doit évidemment remballer son amendement étendant la déchéance de nationalité aux multirécidivistes déjà condamnés. Son collègue Jacques Myard s’élève contre ses collègues modérés, centristes et autres radicaux, les qualifiant de «bobos salonards».«C’est une connerie de reculer là-dessus. Il y a un ras-le-bol dans ce pays dont nous ferons les frais», s’emporte-t-il. Son collègue Philippe Meunier, lui, soutient qu’il ne faut «pas reculer», car il y a «une attente du peuple sur cette question».
«Lâcheté». Sur fond de sondages mirifiques pour Marine Le Pen, certains UMP perdent leurs nerfs. La députée Chantal Brunel, souvent gaffeuse mais rarement méchante, dérape carrément : «Il faut rassurer les Français sur toutes les migrations de populations qui viendraient de la Méditerranée. Après tout, remettons-les dans les bateaux !» s’exclame-t-elle salle des Quatre Colonnes, tandis qu’à deux pas d’elle ses collègues centristes célèbrent leur victoire.
Rarement la majorité a paru si divisée. Le centriste Jean-Christophe Lagarde veut pourtant y croire : «Ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise», assure-t-il. Selon lui, la majorité n’a rien à craindre de Jean-Louis Borloo et de son éventuelle candidature à l’élection présidentielle de 2012. Au contraire : «Plus l’offre politique est étroite, plus on sert l’extrémisme», affirme-t-il. Marine Le Pen, elle, enfonce le clou. Dans un communiqué, elle «dénonce cette lâcheté de l’UMP qui ne fait qu’encourager la montée continue des violences frappant l’ensemble de nos compatriotes, les policiers et gendarmes en premier lieu».
Il en faut plus pour ébranler le patron de l’UMP, Jean François Copé. Marine Le Pen à 24% ? Ce n’est finalement pas si inquiétant que ça : «Si vous cumulez les scores de M. Sarkozy et de M. Villepin, vous arrivez grosso modo à des scores qui peuvent aller jusqu’à 28%, 29%, 30%», explique-t-il sur France Info. Et puis, de toute façon, le député-maire de Meaux (Seine-et-Marne) sait que ceux «qui déclarent une intention de vote» pour le FN «ne pensent pas, ne souhaitent pas que le Front national soit le gagnant de la présidentielle». Ils ne font qu’exprimer «leurs très grandes inquiétudes face à la crise mondiale», face aux «risques liés à des immigrations incontrôlées». Justement le risque dont Claude Guéant promet de s’occuper.
9/3/2011, ALAIN AUFFRAY
Source : Libération