Le Canada est l'un des premiers pays a avoir fait de la condition de la femme une priorité dans le monde et l'ACDI finance des programmes pour soutenir des initiatives dans les pays du Sud pour développer des outils et de la formation.
LE MATIN: Nombre d'institutions et de centres de recherches du Canada se sont investis dans la question du développement international. La CRDI avait par exemple organisé, en collaboration avec d'autres partenaires, la Conférence internationale de Mexico sur «La décentralisation, le pouvoir local et les droits des femmes» qui a précédé le premier Forum des femmes élues locales d'Afrique qui se tient à Tanger. L'Agence canadienne de développement international est également très présente sur le dossier des femmes ?
FATIMA HOUDA PEPIN: La coopération et le partenariat international constituent un socle fort de la politique étrangère du Canada. On retrouve cette dimension dans le cadre des programmes de coopération de l'Assemblée nationale du Québec, de l'Organisation internationale de la francophonie et de l'Association des parlementaires très présents sur cette question d'émancipation de la femme en Afrique, notamment au Bénin, au Mali, en Tanzanie et au Kenya. Le Canada est l'un des premiers pays a avoir fait de la condition de la femme une priorité dans le monde et l'ACDI que vous évoquez finance des programmes pour soutenir des initiatives dans les pays du Sud pour développer des outils et de la formation. Les talents et le savoir-faire des femmes élues africaines sont appréciables et malgré le manque de ressources, elles parviennent à réaliser des progrès dans toutes les sphères d'activités politiques économiques et sociales. Avec mes collègues députés, nous avons œuvré à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale et à faire avancer l'agenda des femmes en matière de santé, d'éducation, de budget selon le genre et de lutte contre la violence familiale. Au Québec, je préside le cercle des femmes parlementaires, un forum d'échanges et de réseautage non partisan, où les députées discutent des enjeux nationaux et internationaux qui les préoccupent sans égard à leur allégeance politique.
La finalité est toujours la même : travailler à améliorer la qualité de vie, le niveau de vie et le milieu de vie des
citoyens. Dans ce sens, toutes les politiques sont réellement locales.
Vous êtes intervenue dans le panel consacré au leadership féminin animé par ma consœur Malika Malek sur l'utilité d'avoir des femmes en politique. A votre avis, pour quelles raisons la femme doit-elle s'investir dans le monde politique ?
Il y a plusieurs raisons pour cela. Il y a surtout une raison essentielle, celle de l'équité dans la représentation de la société. Les femmes représentent la majorité de la population, les exclure du pouvoir et des centres décisionnels reviendrait à creuser un immense déficit démocratique. Les femmes représentent un réservoir de capital humain extraordinaire. Les sociétés qui s'en priveraient ou qui ne les mettraient pas pleinement en valeur, se condamneraient au sous-développement.
On se pose aussi la question si les femmes élues représentent réellement les préoccupations des autres femmes et de la société ? Et si leur apport constitue réellement une force de changement ?
Je dirai oui, mais...Les femmes élues sont porteuses d'une vision différente de la politique et de la société, une vision qui les amène à mettre la priorité à la bonne place. Lorsqu'elles décident de se porter candidates pour assumer des charges publiques, elles sont compétentes, ont une conscience objective et travaillent d'arrache-pied pour progresser.
Elles savent qu'elles doivent prouver leurs compétences, elles sont plus soucieuses des inégalités sociales, plus sensibles au sort des femmes et des enfants, plus volontaires et concrètes dans leurs luttes contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Oui, mais…dites-vous, quel est le contrepoint que vous apportez ?
Lorsque les femmes ne constituent pas une masse critique pour changer les choses, elles ont tendance à adopter les comportements de leadership masculin dans leurs manières de gérer le pouvoir. Le plafond de verre est révélateur à cet effet.
L'autre entrave à l'agenda des femmes réside dans le caractère partisan qu'impose l'appartenance aux partis politiques. Il est légitime de se demander à quoi cela sert-il de porter des femmes au pouvoir, si la discipline des partis leur enlève toute initiative et les empêche de défendre l'intérêt commun ? Cette question fait l'objet de débats même dans les pays qui ont une longue tradition démocratique. Face au cynisme ambiant à l'égard des partis politiques traditionnels, face au désintéressement des citoyens à l'égard de la chose publique, y a-t-il une solution qui permettrait de maintenir la discipline de partis tout en permettant aux élues de voter selon un point de vue qui ne met pas en cause la survie du gouvernement ou la cohésion des partis politiques ? C'est la question que j'ai posée.
Pouvez-vous donner un exemple concret de cas où se poserait cette question ?
Il y a un cas, celui où les élues seraient tenues d'être solidaires de leurs formations politiques respectives lors de votes décisifs, comme le vote du budget du gouvernement ou sur des questions d'intérêt national, mais elles auraient suffisamment de latitude pour s'exprimer sur des questions qui relèvent de leurs compétences et qui touchent les citoyens de leurs communautés locales et de leurs régions.
Un atelier portant sur les femmes et la transparence dans la gestion locale a été animé à Tanger lors de ce forum par Mme Zineb Eladaoui, présidente de la Cour des comptes régionale de Rabat, et Rachid Filali Meknassi, SG de Tranparency Maroc. Un mot sur ce thème de lutte contre la corruption qui est partout très présent dans le monde à l'échelle locale et du rôle des femmes élues locales ?
La tenue de cet atelier est une excellente initiative. La corruption a produit des ravages et des profondes ruptures sur tous les plans, financier, économique, sociale et aujourd'hui ce sont les économies réelles des pays du tiers monde qui sont touchées. Sur le plan de l'économie mondiale, la crise financière a révélé l'ampleur de la corruption et de l'opacité des circuits financiers dans laquelle nous a entraînés le leadership masculin qui domine le monde de la finance. Beaucoup se sont tournés alors vers les femmes pour se demander si celles-ci ne seraient pas plus garantes de la performance et du succès des entreprises publiques et privées. Des études faites aux Etats-Unis indiquent que des tendances lourdes se dessinent à l'échelle mondiale au plan social, économique et environnemental. Ces tendances commandent un nouveau style de leadership. Une participation accrue des femmes aux postes décisionnels est un atout précieux pour développer un leadership plus efficace, c'est un levier au développement qui répond aux impératifs économiques et qui peut constituer un avantage compétitif et un moteur de performance des organisations locales, régionales et nationales. En mai 2009, un journal avait publié un article dans « les affaires » au titre évocateur « le leadership féminin pour vaincre la crise ».
Les femmes seraient donc plus honnêtes, mieux à même de gérer les budgets et les crises. Quelles sont les autres qualités que devraient avoir des femmes élues locales ?
Les qualités humaines des femmes, leur flexibilité, leur approche participative, leur capacité de travailler en équipe sont autant de formules gagnantes pour une bonne gouvernance .Tout cela augure pour les femmes élues d'Afrique qui ont une bonne connaissance du terrain et des enjeux locaux. Mais tout cela ne suffit pas, il faut aussi des valeurs pour agir comme force de changement. Les femmes doivent avoir de l'ambition pour leurs communautés locales, pour leurs régions, elles doivent faire la politique pour servir et non pour se servir. Une de mes devises, c'est la passion de servir, de changer les choses pour améliorer la qualité de vie des gens. L'éthique et la déontologie permettent de fixer des règles claires, de les appliquer à soi-même et aux équipes qui travaillent avec nous.
La loyauté est pour moi une autre valeur comme l'est l'authenticité. Personnellement, j'ai fait la politique avec et pour les gens. Le courage politique est également une des valeurs motrices dans la lutte contre la pauvreté, contre les discriminations qui nécessitent des visions audacieuses avec une obligation de résultats et une reddition de comptes. Avec une vision claire, des objectifs, il faut alors passer à l'action, avec des projets qui comptent comme l'alphabétisation, la santé des femmes et un réseau d'entraide et de soutien. C'est aussi l'ambition de ce forum de Tanger que de créer un vaste réseau !
10/3/2011, FARIDA MOHA
Source : Le Matin