samedi 23 novembre 2024 14:49

«Le débat sur la laïcité, c’est trente ans de déni»

Prêches en arabe, prières de rue, mères d’élèves voilées… Le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, promoteur d’un débat controversé, répond.

Votre projet de «débat sur l’islam», qui est devenu un «débat sur la laïcité», puis un «débat sur le pacte républicain» - dans l’ordre ou dans le désordre -, j’avoue que je n’y comprends plus rien…

Chaque mot est important. Ce débat a toujours été un débat sur la laïcité. La grande difficulté que nous avons en France, c’est que généralement, les débats deviennent difficiles quand on a trop tardé à les mettre sur la table. Dans ce cas-là, c’est trente ans de déni. Ce débat doit nous conduire à définir d’abord de ce que peut être une vision moderne de la laïcité, à imaginer une laïcité positive en 2011, puis à évoquer le point particulier que constitue l’organisation de l’islam de France.

En 1989 - j’avais 19 ans et vous 25 -, c’est la première affaire du foulard, suivie de celles de 1994 et 2003. Il y a eu la loi du 15 mars 2004, celle sur la burqa et maintenant un projet de circulaire de Luc Chatel sur les sorties scolaires. Bref, ça fait vingt-deux ans que nous vivons avec le débat sur la laïcité. Il me semble qu’il a eu le temps d’avoir lieu…

On a été dans le déni parce qu’on n’a abordé cette question que ponctuellement, comme vous le rappelez, mais on n’a pas su remettre en perspective la laïcité, réfléchir à ce qu’elle voulait dire. Je souhaite que le débat du 5 avril soit un débat empreint de respect et d’écoute mutuelle. Avec un objectif : aboutir à des décisions et des propositions concrètes. Je proposerai ma définition de la laïcité à l’occasion de ce débat. À mes yeux, la laïcité n’est pas la négation des religions, c’est la liberté pour chacun d’exercer son culte, s’il le souhaite, dans le respect de celui des autres et dans le respect des lois de la République. Certains n’ont pas cette définition, c’est pour cette raison que je voudrais qu’on ait un débat de fond.

Vous avez dit que ce n’était pas à l’Etat de construire des lieux de culte, alors que la construction des mosquées est un problème urgent. Et vous avez déclaré que vous souhaitiez qu’on cesse de parler arabe dans les prêches. Il me semble que la langue des prêches ne regarde pas l’Etat - sauf si quelqu’un des RG veut comprendre ce qu’il s’y dit…

Sur la construction de lieux de culte, il n’est pas question de toucher à la loi de 1905 et à l’interdiction de financements de l’Etat. Sur la question des prêches, j’ai évolué à la suite de mon entretien avec Dalil Boubakeur [le recteur de la Mosquée de Paris, ndlr], que j’ai vu longtemps samedi à l’occasion d’un entretien passionnant. Je crois l’avoir beaucoup rassuré sur l’esprit qui nous anime à l’UMP. Dalil Boubakeur m’a convaincu qu’il fallait faire la distinction entre ce qui relève de la liturgie de chaque religion - qui peut bien sûr être célébrée en arabe, en hébreu ou en latin, et dans laquelle l’Etat n’a pas à interférer - et ce qui relève des messages que l’imam, le rabbin ou le prêtre adresse aux fidèles. Ce message-là doit à mon sens être dit en français.

Pourquoi ? Parce que ce sont des messages politiques ?

Non, parce que ce message est dit par des religieux qui officient dans des lieux de culte français et il s’adresse essentiellement à des Français, il est donc logique qu’il soit en français. La langue de la République est la langue française et les lieux de cultes ne doivent pas être autre chose que des lieux qui se situent à l’intérieur des lois républicaines. C’est ce que j’entends par la formule «islam de France» : un islam qui n’est pas sous l’influence de puissances étrangères.

C’est bien ça, c’est une question politique ou géopolitique, voire sécuritaire…

C’est un élément constitutif de ce débat, mais il n’en représente qu’une part. Evitons caricatures et préjugés. L’exercice des cultes est séparé de l’Etat, mais il se fait sous l’égide des lois de la République. Il y a donc un certain nombre de conditions à respecter, par exemple le fait que des parents n’interdisent pas à leur fille de fréquenter des piscines mixtes dans le cadre de l’Education nationale, qu’une femme ne puisse pas, dans le cadre du service public de la santé, refuser d’être soignée par un médecin homme. C’est dans ce même esprit que j’ai porté avec mes amis députés la loi d’interdiction de la burqa.

Ce débat sur la laïcité intervient quelques semaines après les révolutions tunisiennes et égyptiennes, puis libyennes. Alors qu’on a le sentiment que le monde arabe donne une leçon de démocratie, que tous les experts s’accordent à dire que l’islamisme a été absent de ces révolutions, vous n’avez pas le sentiment d’être complètement à rebours du sens de l’histoire ?

Au contraire, je crois que ça va dans le même sens, même si les deux processus sont indépendants. Quand on voit ce qui se passe dans ces pays qui justement aspirent à un processus démocratique éloigné des fondamentalismes, nous aurions mauvaise grâce de ne pas, de notre côté, fixer des règles qui consistent à ne pas laisser de place aux fondamentalistes.

17/3/2011, HUGUES JALLON

Source : Libération

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