Des magazines féminins pour musulmanes ou pour immigrées commencent lentement à voir le jour en Allemagne. Entre clichés et tabous, ces revues veulent apporter leur écot au virulent débat sur l'intégration qui secoue le pays depuis des mois.
Loin des "Elle", "Brigitte" et "Jolie" et de leurs mannequins à boucles blondes, "Imra'ah" ("Femme" en arabe) présente en une des femmes qui portent le voile. Le magazine, lancé à l'été 2010, se présente comme le premier féminin allemand pour musulmanes.
"La presse féminine est abondante en Allemagne mais quand on est une musulmane pratiquante, on n'est représenté dans aucune de ces publications", explique la fondatrice du journal, Sandra Adeoye. "Dans nos pages mode, les femmes n'ont pas les épaules dénudées, ne portent pas de mini-robes ou de jupes courtes", détaille-t-elle. Les robes des mannequins sont élégantes et longues, ornées parfois de strass.
Les 3,8 à 4,3 millions de musulmans que compte l'Allemagne -soit entre 4,6% et 5,2% de la population- sont encore largement sous-représentés dans le monde politique ou économique.
Or la question de l'intégration a refait surface dans le débat politique ces derniers mois avec la publication d'un pamphlet antimusulmans par un ancien responsable de la Banque centrale allemande.
La chancelière Angela Merkel a même affirmé que le modèle d'une Allemagne multiculturelle où cohabiteraient harmonieusement différentes cultures avait "totalement échoué".
Beaucoup dénoncent les préjugés respectifs d'Allemands peu disposés à l'égard de leurs immigrés et de musulmans qui refusent d'apprendre l'allemand, par exemple.
"Je suis une musulmane convertie, quand j'ai commencé à m'intéresser à ma religion, je me suis aperçue à quel point l'islam est présenté de manière négative dans les médias occidentaux", souligne Sandra Adeoye, fille d'une Allemande et d'un Nigérian.
"Elles ne sont évoquées que lorsqu'elles sont victimes de violences domestiques ou quand elles sont contraintes de porter le voile", renchérit la directrice de publication de "Gazelle", Sineb El Masrar.
Ce magazine, lancé en 2006, s'adresse plus généralement aux immigrées dans leur grande diversité et tente de privilégier une approche intellectuelle.
La revue, publiée jusqu'ici seulement deux fois par an, a par exemple consacré un long article aux couples binationaux : "Moi, la musulmane et mon conjoint allemand" avec les témoignages d'une Turque et d'une Iranienne mariées à des Allemands.
D'autres périodiques, notamment sur l'internet, tentent de voir le jour, comme Cube-mag qui veut "renforcer l'identité des jeunes musulmans".
Dans les rubriques plus classiques telles que la mode ou les cosmétiques, ces féminins veulent aussi imposer leur différence. "On trouve dans les magazines allemands des recettes avec du porc ce qui évidemment pose problème pour une musulmane", détaille Sandra Adeoye. Et Sineb El Masrar de rire : "Prenez le problème de l'épilation. Les Allemandes n'ont pas du tout cet immense problème de pilosité qu'ont les femmes des pays du Sud !".
Ces femmes issues de l'immigration sont aussi des consommatrices, qui achètent vêtements et automobiles, voyagent et lisent.
Mais trouver des annonceurs pour aider à financer ces publications relève de la gageure. Au rayon clichés, le secteur publicité se taille une place certaine. Pour les annonceurs, affirme selon Sineb El Masrar, "immigrées égale musulmanes égale oppression. Elles n'ont pas d'argent et vivent de Hartz IV", l'allocation sociale minimale.
20/3/2011
Source : AFP/L’Orient Lejour