Mise en place d'une caravane de magistrats pour encourager les couples à officialiser leurs unions. Une campagne pour les couples mixtes et les Marocains résidant à l’étranger.
Le département de la Justice semble être décidé à éradiquer le phénomène de mariages par Fatiha qui sévit encore dans les campagnes et les régions montagneuses et désenclavées du Royaume. En effet, après avoir mené une première campagne de sensibilisation qui a duré cinq ans (2004-2009) et qui a contribué à la régularisation de la situation de 20.000 couples annuellement, le ministère lance une deuxième campagne qui durera jusqu'en 2014.
Objectif : officialiser le maximum de mariages. Et pour se faire, le ministère reste flexible. Le tribunal admettra toutes les preuves témoignant de la régularité de ce mariage, y compris les expertises et les tests ADN. Le ministère qui veut surmonter les erreurs ayant marqué la première édition de cette campagne se montre très optimiste quant aux résultats de cette campagne. «Nous avons mis en place une batterie de mesures afin de faciliter aux familles la régularisation de leur situation. Notre but est de convaincre le maximum de couples à officialiser leurs mariages dans le délai fixé», indique Brahim Lisser, directeur des affaires civiles au ministère de la Justice. Le département a procédé dans ce sens à la mise en place d'un corps de tribunal ambulant composé de trois juges, d'un représentant du parquet et d'un greffier.
Ce dernier se déplace jusqu'aux régions qui connaissent des taux de mariages très élevés dans un souci de rapprocher l'administration du citoyen. Selon M. Lisser, le ministère a relevé que plusieurs familles s'abstiennent de régulariser leurs situations parce qu'ils trouvent des difficultés à se déplacer jusqu'au tribunal. «Nous avons pensé donc à aller rencontrer la population, l'informer, la sensibiliser et officialiser les mariages qui remplissent les conditions nécessaires. Cette opération est menée conjointement avec les autorités locales qui apportent un grand soutien à cette opération», ajoute ce responsable. Notons que cette nouvelle «caravane» judiciaire s'est déjà rendue dans plusieurs communes rurales, notamment celle de Melloussa, de Asni et d'Ourika de Hiadna et de Oulad Yaagoub. Cette dernière a visité aussi les souks hebdomadaires dans les régions les plus reculées pour sensibiliser et encourager les familles à entreprendre les démarches nécessaires pour la régularisation de leur situation.
«Il a fallu d'abord informer les gens de l'importance d'avoir un acte de mariage. Les gens ignorent toujours l'utilité d'un tel papier et les droits qu'il pourra garantir à la femme et aux enfants », souligne M. Lisser. En effet, l'absence d'un acte de mariage officiel prive les familles en question du livret de famille. Par conséquent, la femme ne pourra pas obtenir ses droits en cas de séparation (pension alimentaire, reliquat de la dot). En outre, le mariage par Fatiha ne permet pas aux enfants nés de cette union de jouir de leurs droits naturels (nom, héritage...). Par ailleurs, la délivrance de bon nombre de pièces administratives reste conditionnée par la présentation de ce document. «Cette pratique est inacceptable au 21e siècle. Le Maroc mène de grands chantiers pour éradiquer la pauvreté et relever le défi de la mondialisation. La population est appelée à s'inscrire dans cette dynamique. On ne pourra plus tolérer de voir un Maroc qui avance à deux vitesses. Les gens doivent comprendre que sans acte de mariage ils ne pourront pas envoyer leurs enfants à l'école », s'indigne ce responsable.
Le ministère de la Justice affiche clairement sa volonté d'éradiquer complètement ce phénomène, mais qu'en est-il pour la population elle-même ? Selon certains observateurs, nombreuses sont les familles qui choisissent de recourir à cette forme de mariage volontairement pour éviter les complications des procédures. Ces familles sont souvent des analphabètes et habitent dans des zones enclavées loin des tribunaux et ne disposant pas d'Adouls. Ainsi, face à ces contraintes, ils recourent au mariage de la Fatiha qui est une forme de mariage très tolérée dans les campagnes pour rendre public leur mariage et afin que le couple soit admis à vivre en communauté par l'entourage. «Certains couples recourent par contre à ce mariage volontairement pour détourner la loi notamment dans le cas où le mari est polygame ou encore la mariée est mineure. Il a été noté même le recours de certains officiers à cette pratique pour éviter d'obtenir une autorisation de la hiérarchie », explique une source proche du dossier. Pour le directeur des affaires civiles, le département de la Justice gère toujours les dossiers de régularisation de mariage avec bonne foi. «Nous croyons toujours que ces gens n'ont pas encore officialisé leurs unions parce qu'ils n'ont pas pu le faire et nous traitons toujours leurs dossiers sur cette base», conclut M. Lisser.
Une campagne pour les couples mixtes et les MRE
Selon le directeur des affaires civiles au ministère de la Justice, la deuxième campagne de régularisation de mariages par la Fatiha vise aussi les mariages contractés par les Marocains résidents à l'étranger et les mariages mixtes. Selon ce responsable, nombreux sont les Marocains qui contractent des mariages civils avec les ressortissants de leur pays d'accueil, sans les inscrire auprès des autorités compétentes. Ainsi, les enfants nés hors du Maroc d'un père étranger ne pourront pas prouver leur filiation puisqu'ils sont privés du livret de famille.
Dans ce sens, un appel est lancé à ces couples pour s'inscrire dans les consulats marocains à l'étranger afin de pouvoir bénéficier de cette campagne.
22/3/2011, Yousra Amrani
Source : Le Matin