Le 14 mars 2002, après trois mois d’enquête, Régis Debray remettait au ministre de l’éducation nationale, Jack Lang, le rapport que celui-ci lui avait commandé sur « l’enseignement du fait religieux dans l’école laïque ».
Dénonçant « la menace de plus en plus sensible d’une déshérence collective, d’une rupture des chaînons de la mémoire », il listait 12 propositions relatives aux programmes scolaires, mais surtout à la formation des enseignants. Le but, résumait-il, n’est pas « de remettre Dieu à l’école », mais plutôt de « décrisper, dépassionner, et même, disons le mot, banaliser le sujet, sans lui enlever, tout au contraire, sa dignité intrinsèque.»
Près de dix ans plus tard, où en est-on ? C’est la question qu’ont choisi de se poser ensemble le ministère de l’éducation nationale et l’Institut européen en sciences des religions au cours d’un séminaire de deux jours organisé depuis lundi 21 mars à Paris.
«Les questions liées aux faits religieux effraient moins les enseignants»
Fondé en 2003 par Régis Debray pour développer la formation des enseignants, l’IESR souhaite mettre en avant les progrès réalisés. « La parole s’est décomplexée sur le sujet, c’est indéniable », assure ainsi sa directrice, Isabelle Saint-Martin, tout en reconnaissant « qu’aucune évaluation » des connaissances des élèves n’a encore été menée.
« Aborder les questions liées aux faits religieux effraie moins les enseignants », constate aussi Philippe Claus, inspecteur général de l’éducation nationale, doyen du groupe enseignement primaire. Les différents acteurs le reconnaissent : une partie d’entre eux se sont ralliés à cause de l’irruption à l’école de problématiques liées à l’islam.
Celles-ci leur ont fait prendre conscience qu’eux comme leurs élèves avaient besoin d’outils pour les aborder. Comme l’a résumé lundi Régis Debray dans son introduction, le débat ne porte plus, désormais, sur l’intérêt d’enseigner les faits religieux à l’école – l’avis est à peu près partagé – mais plutôt sur la manière de le faire.
Problème de «continuité» des enseignements
Or, c’est là que le bât blesse. Côté programmes scolaires, les réformes successives permettent de déceler, ici ou là, de réelles avancées. La place de la Bible a été réaffirmée dans le programme de français de sixième. La « chrétienté médiévale » figure au nouveau programme d’histoire-géographie de seconde, ainsi que « Constantinople-Istanbul, lieu de contacts entre différentes cultures et religions ».
Le problème, relève le président de l’IESR, Dominique Borne, est plutôt celui de « la continuité » des thématiques étudiées : les programmes ne doivent pas donner l’impression aux élèves que « le religieux est fixé une fois pour toutes, au concile de Nicée par exemple ou lorsque le Coran est “descendu” ».
Ni laisser de « trous » béants : « On ne peut pas étudier le judaïsme uniquement au travers des Hébreux au collège, puis de l’antisémitisme et de la Shoah au lycée », regrette cet historien, notant que « le problème est assez comparable avec l’islam ».
«Nous sommes inquiets de ce traitement par petits morceaux»
Dans le projet de programme d’histoire en terminale figurent des études sur une plus longue durée – et donc plus « fructueuses » : « un siècle de tensions au Proche et au Moyen-Orient (des années 1890 aux années 1990) » ou encore « une étude au choix parmi les deux suivantes : religion et société en Russie ou aux États-Unis depuis les années 1880 ».
Mais le manque de continuité préoccupe également Gérard Gobry, directeur de l’Institut de formation à l’étude et à l’enseignement des religions, installé à Dijon : « Nous sommes inquiets de ce traitement par petits morceaux, alors que nous avons un rattrapage terrible à opérer. Il manque une politique générale et constante. On dit qu’on tient beaucoup à l’enseignement du fait religieux, mais on ne décide quelque chose que lorsque les banlieues explosent. »
La situation est un peu différente dans le primaire, où la polyvalence des enseignants, les croisements entre disciplines et l’entrée de l’histoire des arts dans les programmes offrent, a priori, un cadre plus propice : le christianisme peut être abordé en même temps que les Gaulois, dès le cours élémentaire, l’islam et le judaïsme au cours moyen.
L’absence de formation des enseignants reste le principal obstacle
Problème tout de même en maternelle et CP : le recul des rituels festifs autour de Noël ou de Pâques (voire d’Halloween, dont la mode est déjà passée) – « par souci de respecter les autres traditions religieuses », note Philippe Claus – n’a pas encore suffisamment laissé la place à d’autres pratiques : lectures de contes, par exemple.
L’inspecteur national se réjouit toutefois de « la disparition assez large des résistances » chez les enseignants et de leur quasi-absence chez les élèves. « Au collège, certains refusent de visiter une église romane ou gothique parce que c’est une église, mais ce n’est pas le cas en primaire », constate Philippe Claus.
Mais plus encore peut-être que les programmes, l’absence de formation des enseignants reste le principal obstacle à l’introduction des faits religieux dans l’ensemble des disciplines. Une infime minorité d’entre eux les ont abordés au cours de leur formation initiale.
La formation continue en chute libre
Et la réforme récemment décidée – la « mastérisation », qui accroît le rôle des universités au détriment des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) – ne devrait guère améliorer la situation. « Jusqu’à présent, nous avions des correspondants dans les IUFM, nous pouvions proposer des sessions spécifiques axées sur le fait religieux, indique Dominique Borne. En revanche, nous ne pouvons pas dire aux universités d’inclure la dimension religieuse dans leurs cursus. »
Quant aux crédits destinés à la formation continue des enseignants, ils sont en chute libre. Selon Gérard Gobry, dont l’Ifer accueille essentiellement des enseignants du privé, la baisse a atteint 70% cette année. « Partout des sessions ont été annulées », indique-t-il.
Et si les professeurs des écoles ont droit au minimum à dix-huit heures par an, ce n’est pas le cas de leurs collègues du secondaire. Dominique Borne, quant à lui, ne parvient à maintenir ses interventions auprès des enseignants du primaire qu’en les délivrant gratuitement.
22/3/2011, Anne-Bénédicte HOFFNER
Source : La Croix