Peu de livres récemment parus au Maroc m’auront procuré autant de joie mêlée de tristesse que le bel album intitulé Miloud une vérité en peinture édité par les soins de la Fondation CDG au moment même où Rabat accueille une exposition rétrospective des œuvres de ce peintre éminent décédé en 2008.
C’est son ami Fouad Bellamine (exposé en mai prochain chez Frédéric Moisan, à Saint-Germain des Prés, en compagnie des peintres Schlosser et Buraglio) qui m’a offert un exemplaire de Miloud-une vérité en peinture. Cet album est une vraie réussite car, par l’image et le texte, il présente un faisceau de preuves où s’affirment le talent singulier et le travail obstiné et lumineux de Miloud en même temps que l’amitié et le respect que suscitait spontanément le moins bavard et le moins vaniteux des novateurs parmi les peintres marocains.
Aziz Daki note justement ceci : “La leçon de Miloud, c’est que chaque parcelle de la toile fait œuvre. Il s’y engage, sans tricherie, au prix de la douleur, hélas, parce qu’il étend ses grandes toiles par terre et qu’un mal de dos ne lui permet qu’au prix d’un insupportable effort de s’incliner longtemps pour peindre. “
On dira donc, sans risque d’être contredit, que Miloud ne s’inclinait que pour peindre. C’est bien ce que suggère Ilham Tahri Belkahia lorsqu’elle écrit : “Œil vif, visage rond, couvre-chef de marin, Miloud entretenait ses rêves dissidents et ses révoltes tues dans une œuvre palpitante de vérité.“
Ah ! la vérité en art ! Ilham Tahri BelKahia serait certainement bien en mal pour en définir les voies et les moyens, mais quelque chose de l’ordre de la vérité est perceptible – ou non – à défaut de répondre à une définition précise. Ilham Tahri Belkalhia propose de considérer que l’œuvre de Miloud “nous invite à faire silence pour écouter le sensible et interpréter cette “unique manière d’exister qui parle à la fois à tous mes sens“. La lumière dominante de son milieu assigne à notre humeur sa vraie couleur. L’économie de son esthétique totale ranime notre œil irréfléchi. Les protubérances du papier marouflé nous invitent à l’expérience tactile, dernière étape pour que s’avère en nous fructueuse sa tentative de féconder notre identité. “
Tout ceci est bel et bien dit, au point de nous rappeler intensément l’aura de générosité et la dimension de partage silencieux repérables chez l’artiste et dans son œuvre. En somme, et nous le savions, Miloud était une belle personne.
Dounia Benqassem rappelle dans son Dictionnaire des artistes Contemporains du Maroc que Miloud Labied, dit Miloud naquit en 1939 à Kalâat Sraghna, dans la région de Marrakech et qu’il émigra à Salé avec sa famille en 1945.
Il connut un apprentissage libre du dessin et de la peinture dans l’atelier du Ministère de la Jeunesse et des Sports qu’animait à Rabat Jaqueline Brodskis. Il lui arriva de travailler aux côtés du peintre Ahmed Louaghdiri qui était jardinier : Miloud traçait les sillons en vue de l’irrigation. Homme de fidélité, Miloud montra après le décès de Jacqueline Brodskis les œuvres retrouvées de celle-ci – des vues saisissantes du mellah de Rabat – dans les locaux de la fondation qu’il avait installée à Tafroukht Assif Al Mal, à 70 kilomètres au sud de Marrakech et qui ne lui a malheureusement pas survécu, ses héritiers ayant d’autres priorités…
Le salut d’Edouard Roditi à l’œuvre à l’œuvre de Miloud n’est pas la moins fine contribution figurant dans l’ouvrage. Roditi (1910-1992) était un personnage à la fois marginal et estimé. Son texte consacré à Miloud est l’un de ses écrits ultimes. L’analyse qu’il y propose du parcours de Miloud est très éclairante lorsqu’il en vient à considérer “les divers styles que Miloud a jusqu’à présent pratiqués dans ses gouaches, ses toiles ou ses reliefs“.
Feuilleter l’album Miloud une vérité en peinture est un délice. Je ne m’en lasse pas. Un passionnant entretien accordé par Miloud à l’écrivain Mohammed Berrada est un des moments forts de la promenade à laquelle cet ouvrage nous convie. Un autre entretien passionnant est celui réalisé par Yasmina Naji avec le peintre Fouad Bellamine qui évoque notamment Radia, la mère de Miloud et “cette relation fusionnelle avec Radia qui, par ailleurs a peint durant une courte durée, une peinture que Miloud chérissait“. On retiendra ce que Bellamine rapporte de la relation entre le collectionneur Abderrahmane Serghini et Miloud. Et, surtout, on se souviendra longtemps de ces mots de Mohammed Berrada : « Je me dois également de dire que son sourire est de ceux que l’on n’oublie jamais, car il évoque l’enfance même et reflète sa réconciliation personnelle avec le monde. Il suffit que je me remémore son sourire pour affirmer qu’il est parmi nous, et que de quelque part, il nous regarde… »
Bravo et merci à tous ceux qui ont participé à la confection de ce beau livre nécessaire
31/3/2011
Source : Le Soir