Chacun pour soi ou tout à l'Europe : c'est entre ces deux pôles qu'oscille la position des pays membres de l'Union européenne en matière d'immigration. De "politique" en tant que telle, il n'a pas été question depuis des années, mais bien d'une série de déclarations et de postures essentiellement dictées par les aléas de l'actualité, l'humeur présumée des citoyens ou les échéances électorales.
Or, ces dernières se profilent en France, en Allemagne ou en Italie, et la question migratoire s'impose à nouveau, là et ailleurs, comme l'un des thèmes majeurs du débat, l'un de ceux qui, en ces temps de crise, pourraient déterminer l'issue des scrutins.
La crise que connaît le continent a favorisé le retour des propos à l'emporte-pièce, de la course en solitaire, du renvoi de la responsabilité sur le voisin ou, comme d'habitude quand les choses s'enveniment, sur "Bruxelles".
Sur cette Commission taxée d'irréalisme quand elle continue à plaider, par exemple, pour le regroupement familial ou l'immigration de travail. Ou d'angélisme quand elle ose affirmer que la révolte tunisienne ou la guerre de Libye, toutes deux jugées bénéfiques, pourraient forcer les Vingt-Sept à ouvrir leur porte-monnaie, leur coeur et les frontières.
Il faudra faire preuve de la solidarité promise aux citoyens de ces pays et assumer sans doute un exode, tant de réfugiés économiques que de personnes en détresse ayant le droit à une protection internationale.
Le sort des premiers reste incertain, et c'est un peu tard, malheureusement, que l'Union s'est décidée à considérer qu'une véritable coopération avec leur pays d'origine serait susceptible d'améliorer leur sort et celui de tous ceux qui songent à les imiter. Quitte à prendre des risques insensés et à ajouter leur nom à la liste des quelque 4 200 candidats à l'immigration qui ont péri depuis 2003 en tentant de rejoindre ce qui ressemblait, pour eux, à un eldorado.
La récente querelle franco-italienne sur les titres de séjour et les contrôles quasi systématiques aux frontières a illustré jusqu'à la caricature l'absence d'une politique commune et d'une réelle solidarité entre les Européens. Incapables de mettre au point des règles communes pour l'asile, hostiles à tout "partage du fardeau", refusant de considérer que la pression des clandestins s'exerce sur certains beaucoup plus que sur d'autres, les Vingt-Sept offrent l'image désolante d'un pouvoir sans ligne directrice et sans réponse face aux défis de demain.
La dislocation du régime du colonel Kadhafi, avec lequel avait été conclu un programme de "voisinage" qui faisait de lui, au moins jusqu'en 2013, le gardien vigilant (et rémunéré) des flux de clandestins, place pourtant les Européens devant leurs responsabilités. Soit ils en viennent enfin à coordonner leur action et à considérer, entre autres, que l'immigration légale restera une donnée majeure de nos sociétés. Soit ils poursuivent dans la voie du chacun pour soi, et alors un autre pilier s'effondrera : l'Europe dite "sans frontières" de Schengen aura vécu, et avec elle une autre part du rêve européen.
10/4/2011, Editorial
Source :Le Monde