Claude Guéant rompt avec ses prédécesseurs en voulant limiter l’immigration légale, dont celle de travail.
Claude Guéant aura mis à peine un mois pour opérer un complet changement de pied sur l’immigration légale et le regroupement familial. Dans une interview au Figaro Magazine d’aujourd’hui, le ministre de l’Intérieur montre les muscles. Après les musulmans, il s’en prend aux immigrés illégaux mais également légaux, exigeant une réduction de l’immigration légale. «J’ai demandé que l’on réduise le nombre de personnes admises au titre de l’immigration de travail (20 000 arrivées par an), déclare-t-il. Et nous allons continuer à réduire le nombre d’étrangers venant en France au titre du regroupement familial (15 000).»
Le 8 mars, le tout nouveau ministre défendait le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité devant l’Assemblée nationale. Il tressait alors des lauriers à ses prédécesseurs : «Nous nous étions engagés à mener une réforme d’envergure du regroupement familial, nous l’avons fait. Avec la loi du 20 novembre 2007, approfondissant les lois de 2003 et 2006, nous avons revu les conditions du regroupement familial. Cette réforme attendue par nos concitoyens a porté ses fruits : alors que l’immigration au titre du regroupement familial représentait, chaque année, près de 25 000 titres de séjour, elle n’en représente plus désormais que 15 000 en moyenne.»
«Restrictive». Aujourd’hui, tout étranger en situation régulière désireux de faire venir en France sa femme et ses enfants mineurs doit répondre à des conditions de ressources et de logement draconiennes. D’ailleurs, comme le rappelle l’association France Terre d’asile (FTDA), «l’index des politiques d’intégration en Europe (Mipex), qui évalue les politiques d’intégration des 27 membres de l’Union européenne, la Suisse, la Norvège, les Etats-Unis et le Canada par rapport à des standards européens et internationaux, classe la politique française de regroupement familial à la 22e position». «A la différence des principaux pays d’immigration, poursuit FTDA, la France exige toutes les conditions (ressources, logement, durée de séjour, mesures d’intégration avant le départ) autorisées par le droit européen. En cela, elle se rapproche de l’Autriche, la Suisse et le Danemark, pays connus pour leur vision restrictive des questions migratoires.»
Faut-il durcir encore les conditions du regroupement familial ? Tel n’était pas l’avis d’Eric Besson et de Brice Hortefeux. Les prédécesseurs de Claude Guéant au ministère de l’Immigration ont dû juger les restrictions mises au regroupement familial satisfaisantes, puisque le projet de loi en cours d’examen ne comprend pas de dispositions dans ce domaine.
Ce même 8 mars, le ministre de l’Intérieur se félicitait également des résultats du gouvernement en matière d’immigration de travail. «Nous nous étions aussi engagés à promouvoir l’immigration professionnelle - celle qui répond à des besoins avérés et constatés de notre appareil économique -, nous l’avons également fait. Alors que moins de 12 000 étrangers bénéficiaient en 2006 d’une carte de séjour attribuée pour des motifs de travail, ils ont été 21 000 en 2008 et 20 000 en 2009.» A priori, Guéant semblait saluer cette augmentation. Un mois après, il affiche l’objectif inverse : l’immigration de travail doit diminuer.
Cantonales. Ces propos annoncent-ils un changement de doctrine ? Lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, il avait porté, en 2006, une loi dont l’un des objectifs était de diminuer l’immigration familiale, qualifiée de «subie»,au profit d’une immigration de travail, qualifiée de «choisie». Des listes de métiers «en tension», classés par secteurs économiques, avaient été établies. Le 13 décembre, Brice Hortefeux, alors ministre de l’Immigration, soulignait d’ailleurs que «la part de l’immigration professionnelle a presque doublé depuis 2007, passant de 12% à 23%» sur l’ensemble des flux.
Que s’est-il passé qui justifierait ce changement de pied ? Pas grand-chose, si ce n’est l’échec de l’UMP aux cantonales et la montée du Front national. Or, l’immigration fait partie des chevaux de bataille de l’extrême droite. Le 21 février, Marine Le Pen déclarait qu’en 2009, «l’immigration professionnelle a progressé de 4,8%, à 25 432 personnes», et «l’immigration familiale de 7,5%, à 81 237» (1). Coïncidence ? Ce sont justement les deux chiffres que Guéant entend faire diminuer.
(1) Les chiffres de Marine Le Pen comprennent les personnes entrant régulièrement en France au titre du regroupement familial (14 500) et en tant que familles de Français (51 700), ainsi que celles qui sont régularisées au titre des liens personnels et familiaux en France (14 900).
8/4/2011, CATHERINE COROLLER
Source : Libération