On connaissait les racistes purs et durs, voici les "racistes compréhensifs" ! Cette nouvelle notion est mise en évidence par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) qui rend public, mardi 12 avril, son 20e rapport annuel sur le racisme. (A consulter en cliquant ici) Epais de 430 pages et consacré à l'année 2010, ce document pointe les personnes se déclarant "non racistes mais comprenant très bien que les autres le soient".
Pour cela, la Commission se fonde sur un sondage et sur une enquête qualitative. Le premier a été réalisé par l'institut CSA entre les 11 et 14 janvier 2011, auprès de 979 personnes âgées de 18 ans et plus. L'enquête qualitative a, elle, été conduite par l'institut TNS-Sofres sur la base de 30 entretiens individuels semi-directifs en face-à-face d'une heure et demie, entre le 9 et le 14 décembre 2010.
D'après le sondage mené par l'institut CSA, si les préoccupations économiques constituent, comme en 2009, les premières préoccupations des Français, l'insécurité, le terrorisme et la drogue ont vu leur intérêt énormément augmenter. L'insécurité est le premier souci de 28 % des sondés (+6 points par rapport à 2009), le terrorisme, cité par 26 % des personnes interrogées, a augmenté de 15 points, et la drogue, citée par 15 % des sondés, a gagné cinq points.
LA "VISION COMMUNAUTAIRE" REGAGNE DU TERRAIN
Ce sondage, réalisé annuellement afin d'établir l'évolution du racisme sur le long terme, montre que la "vision communautaire" de la société française a aussi tendance à regagner du terrain alors qu'elle en perdait jusque-là. La quasi-totalité des "groupes" testés est perçue comme "constituant un groupe à part". Les plus isolés sont les "gens du voyage" : 72 % des personnes interrogées les considèrent "à part" (+3 points par rapport à 2009). Suivent les musulmans (48 %, +4 points) et les maghrébins (35 %, +2 points).
Quelque 59 % des sondés considèrent, par ailleurs, que l'intégration des personnes d'origine étrangère fonctionne "très mal" et 45 %, "assez mal". Mais ce résultat est lié, selon 54 % d'entre eux, "aux personnes d'origine étrangère qui ne se donnent pas les moyens de s'intégrer". Seulement 39 % estiment que "c'est avant tout la société française qui ne donne pas les moyens aux personnes d'origine étrangère de s'intégrer". De même, 56 % des sondés considèrent qu'il y a "trop d'immigrés en France", soit une hausse de 9 points par rapport à 2009.
L'enquête qualitative menée par TNS-Sofres affine l'analyse de ces résultats. La hausse de tous ces indicateurs est, en effet, en partie liée à l'essor du discours des "racistes compréhensifs". Il s'agit de ceux qui rejettent la violence mais pas forcément les attitudes racistes. Ces personnes se distinguent de celles rejetant ces deux types de comportements racistes en bloc et d'un troisième groupe qui tolère l'ensemble de ces attitudes.
Le rapport de la CNCDH pointe aussi une baisse importante des actes et menaces à caractères racistes, antisémites et xénophobes, en 2010. Selon les données du ministère de l'intérieur, la somme de ces actes et de ces menaces s'est élevée à 1 352 en 2010 contre 1 841 en 2009, soit une baisse de 26 %. Mais cette baisse de la violence – dont les Maghrébins sont les principales victimes – a eu lieu en même temps qu'une hausse des préjugés et de "l'intolérance", selon la CNCDH.
LA RESPONSABILITÉ DES "NOMBREUX DÉBATS ET ANNONCES"
La plupart des personnes interrogées a une vision "sombre" de l'avenir. Beaucoup envisagent une "exacerbation des tensions qui viendraient cristalliser des évènements dramatiques" : attentat, révolte dans les cités... La vision "largement partagée" qui se développe aussi, selon la CNCDH, est que "les populations s'installant en France" le font pour "profiter des aides sociales" et que "l'islam est la principale difficulté liée à l'immigration et à la gestion de la différence dans la société française".
Pour la commission, il semble, "aux yeux de la plupart des personnes rencontrées, qu'un verrou ait sauté dans le discours politique admis ou admissible" au sujet du racisme. Une situation qui les amène, pour une partie d'entre elles, à accueillir favorablement la "banalisation" des discours racistes, considérés comme "la fin d'une hypocrisie".
La CNCDH explique en grande partie ces résultats par le "contexte actuel". Les attitudes racistes et xénophobes "restent fortement liées aux inquiétudes socio-économiques", souligne-t-elle. Elle pointe aussi la responsabilité des "nombreux débats, annonces et questionnements sur l'identité nationale, la déchéance de nationalité, l'interdiction de la burqa ou la situation des Roms en France".
12/4/2011, Elise Vincent
Source : Le Monde