Les révolutions survenues sur la rive sud de la Méditerranée (Tunisie, Libye, Egypte) n’ont pas manqué de susciter des discours alarmistes sur le risque migratoire qu’elles comportaient pour l’Europe. Dans son discours télévisuel du 27 février 2011, le président Sarkozy, tout en saluant ces « révolutions arabes », a mentionné les éventuelles dérives qu’elles comportaient. Dimanche 20 avril, la préfecture française a même interrompu la circulation des trains entre Vintimille côté italien et Menton de l’autre côté de la frontière pour empêcher le passage du train de la dignité rassemblant un grand ombre de réfugiés italiens.
Une illustration rapide des mobilités liées aux révolutions arabes a été donnée par les arrivées à l’île de Lampedusa - près de 20 000 arrivées depuis le 1er janvier 2011 - dont le centre d’hébergement ne peut accueillir que 850 personnes. L’île compte maintenant un habitant pour un migrant. Il s’agit de Tunisiens ayant fui leur pays en raison des difficultés économiques. Ils ne placent pas beaucoup d’espoirs dans les retombées de la révolution sur l’emploi . Des Libyens se présentent aussi comme demandeurs d’asile. Le président Berlusconi, qui s’est rendu début avril à Tunis, a décidé de répartir, depuis la fin mars, ces nouveaux arrivants dans plusieurs régions d’Italie du sud, indiquant que seule la demande d’asile libyenne serait prise en considération.
Tunisie et Libye, un pays de départ et un pays d’accueil
Un aperçu des contextes migratoires de départ et d’accueil sur la rive sud de la Méditerranée conduit tout d’abord à identifier des situations très différentes entre les pays. La Tunisie est un pays d’émigration, avec une population dont 50% a moins de 25 ans. Elle est largement urbaine scolarisée et frappée par le chômage à hauteur de 30% environ des jeunes. Du fait de sa position géographique et de sa proximité avec l’Europe - 138 km la séparent de l’île de Lampedusa, au large de la Sicile -, elle est aussi une terre de transit empruntée par des Subsahariens désireux de passer en Europe.
La Libye, autre terre de transit, abrite 780 000 étrangers, selon le rapport des Nations Unies sur la Population de 2009. Plus que de transit, elle est au surtout un pays d’immigration du fait de ses ressources pétrolières. Elle attire une migration sud-sud constituée essentiellement par les Etats voisins.
Depuis le début du conflit en Libye, a plupart de ces migrants sont repartis dans leurs pays d’origine qui ont parfois organisé eux-mêmes retour des expatriés, comme le Maroc. D’autres sont retournés chez eux par d’autres moyens.
L’Egypte est un pays de départ vers les pays du Golfe, l’Italie, la Libye et à moindre degré, quelques autres pays européens : France, Espagne.
Ces pays ont signé avec la France, l’Italie mais aussi avec l’Union européenne des accords bi et multilatéraux de réadmission par lesquels ils s’engagent à reprendre sur leur sol les sans papiers reconduits à la frontière par les pays européens, qu’il s’agisse de leurs nationaux ou des migrants en transit sur leur territoire interpellés ensuite en Europe. Bien que ces accords constituent des engagements pris d’Etat à Etat ou avec l’Union européenne, ils ont souvent été négociés d’homme à homme entre les présidents Berlusconi et Kadhafi ou Ben Ali, en échange de prestations en nature tels que des cartes de séjour pour candidats au départ très qualifiés, des mesures d’aide au développement ou des « cadeaux ». On peut notament prendre l’exemple de la construction, annoncée en 2010, d’une autoroute Est-Ouest en Libye par des entrepreneurs italiens.
La fin de ces régimes autoritaires amène-t-elle la fin de leur engagement à être les boucliers de l’Europe contre l’immigration clandestine ? Pour l’instant, la seule politique multilatérale de l’Union européenne dans ce domaine consiste en la multiplication de ces accords, plus souvent bilatéraux que multilatéraux, non sans asymétrie entre le nord et le sud et faute de véritable intégration régionale.
Un test pour l’efficacité des instruments de contrôle européens
La perte de contrôle des accords de réadmission liée à la fin des dictateurs, qui en avaient été les protagonistes au sud, pose la question de l’efficacité des autres instruments de contrôle européen des frontières : Schengen sur e contrôle des frontières externes de l’Europe, Dublin sur le droit d’asile vers l’Europe, Frontex sur la mise en commun des polices européennes au service du contrôle des frontières.
De l’avis du HCR, il ne s’agit pas d’un exode de masse, mais les chiffres ne reflètent pas toute la réalité, car beaucoup franchissent les frontières sans papiers et ne sont donc pas comptabilisés. Néanmoins, dans le cadre d’un programme d’évacuation d’urgence, le HCR et l’OIM ont organisé plus de 364 vols de rapatriement pour 58 200 personnes originaires de Tunisie, d’Egypte et du Niger qui séjournaient en Libye depuis début mars. La situation étant évolutive, les organisations internationales poussent à la flexibilité, et demandent aux pays voisins de la Libye que les frontières restent ouvertes pour permettre à la communauté internationale d’agir.
On peut alors se demander de quel poids sont les instruments de contrôle des frontières externes de l’Union européenne, fer de lance de sa politique européenne de l’immigration et de l’asile depuis le lancement du Pacte de 2008. Que fait Frontex ? Il va porter secours aux naufragés de la Méditerranée pour les amener sur les côtes européennes et déplore son manque de moyens bien que son budget ait été porté à 88 millions d’euros. L’Union européenne a récemment dépêché des experts de Frontex pour analyser la situation, mais Frontex ne peut repousser ceux qui demandent l’asile au nom du respect de la Convention de Genève. Les aventuriers de la mer risquent la condamnation chez eux.
Cette migration montre que le dispositif européen, créé essentiellement pour constituer une force de dissuasion, a peu d’effet devant la détermination des candidats au départ et les crises politiques non prévues. Elle montre aussi les limites de la solidarité des pays européens qui ne se sont pas bousculés pour « partager le fardeau » avec l’Italie. Comme la Tunisie, la Libye et l’Egypte n’ont pas d’accord multilatéral de réadmission avec l’Union européenne. Ils ne peuvent donc reprendre des nationaux qu’en vertu d’accords bilatéraux signés avec des Etats européens ou voisins de la rive sud de la Méditerranée. Elle révèle également les limites des accords bilatéraux de contrôle des frontières quand ils sont signés, voire marchandés, entre chefs d’Etat et que les régimes qui succèdent aux dictateurs ne se considèrent que faiblement tenus de les respecter.
21/4/2011
Source : Yabiladi