Les conservateurs sont maintenant majoritaires au gouvernement canadien et le Québec a de nouveau démontré sa spécificité, cette fois en votant massivement pour le NPD. À quoi peut-on s'attendre sur le plan de l'immigration?
Le gouvernement Harper a déjà pris plusieurs orientations qui vont sans aucun doute être renforcées. Ainsi on risque de voir baisser le nombre de réfugiés et augmenter celui des travailleurs temporaires. N'oublions pas qu'au Canada, si on comptait 252 000 résidents permanents en 2009, il y avait en parallèle plus de 400 000 travailleurs temporaires dont les conditions d'entrée et de sortie sont fixées à la fois par des limites légales et par leurs contrats de travail et dont les conditions vie au Canada sont précaires.
C'est clairement cette catégorie de travailleurs facilement adaptables au marché de l'emploi volatile qu'on souhaite développer.
Mais le Canada veut aussi augmenter le volume de résidents permanents arrivant comme travailleurs qualifiés nécessaires au développement économique du pays. Le gouvernement Harper a déjà démontré sa volonté d'en contrôler de plus en plus les caractéristiques socio-économiques à l'arrivée. Finalement, les contrôles de sécurité aux frontières vont en augmentant et le contrôle de l'immigration est de plus en plus associé à la sécurité nationale, faisant planer le doute sur les intentions des immigrants qui pourraient venir, non pas pour vivre ici et s'y développer, mais pour mettre à mal la sécurité et l'équilibre du pays!
Si cette vision est directement importée à la fois des États-Unis et des pays européens, cette association entre sécurité nationale et limitation de l'immigration est nouvelle au Canada et inquiète les organisations de défense des droits de la personne que ce soit à l'échelle nationale ou internationale.
Quelles cartes le Québec joue-t-il dans cette gestion de l'immigration?
Rappelons que depuis 1991, une entente avec le Canada attribue au gouvernement du Québec quatre prérogatives: la sélection des personnes qui viennent s'y établir à titre permanent ou temporaire, leur admission au Canada, leur intégration à la société québécoise ainsi que la détermination des niveaux d'immigration à destination du Québec.
Le Québec a depuis cette date fait de nombreux efforts pour accueillir plus d'immigrants et renforcer ainsi à la fois la démographie québécoise et sa part dans le Canada. Cette immigration, qui atteint près de 55 000 nouveaux arrivants en 2010 et représente environ 18 % de l'immigration au Canada, a aussi pour objectif de maintenir, voire d'accroître, la place de la langue française au Québec mais aussi au Canada et en Amérique du Nord.
C'est pourquoi les critères de sélection des immigrants résidents permanents au Québec reposent à la fois sur l'âge des nouveaux arrivants, leur niveau d'éducation et de qualification professionnelle ainsi que sur leur connaissance du français, soit comme langue maternelle, soit comme langue seconde. Pour satisfaire à ces conditions de sélection, le Québec a tout comme le Canada étendu la carte des régions du monde d'où arrivent ses migrants.
Une nouvelle carte des pays d'origine: jouer la diversité!
Au Québec, on a donc vu les pays d'origine des immigrants se diversifier et de nouvelles populations arriver: de nombreuses familles en provenance du Maghreb et de Roumanie, en particulier, à partir des années 2005. Et ce n'est pas un hasard mais bien un choix, et sûrement une chance pour le Québec puisqu'il s'agit de populations francophones ou francophiles pour qui le français représente la langue d'éducation et de travail. Pour ces populations, le Québec est choisi comme terre d'immigration parce qu'on y vit et qu'on s'y développe en français.
Ainsi entre 2006 et 2010, on trouve parmi les 10 premiers pays d'émigration vers le Québec: l'Algérie, le Maroc, la France, la Chine, la Colombie, Haïti, le Liban, les Philippines, la Roumanie et le Mexique. L'Afrique est le continent de départ de plus de 32 % de cette population et plus de 21 % d'entre eux viennent du Maghreb.
Mais on le sait, ces populations rencontrent aussi des difficultés d'intégration socio-professionnelle importantes au Québec: le chômage chez les Maghrébins frôle les 18 %, taux le plus élevé parmi toutes les populations immigrantes. Ces familles vivent beaucoup d'insatisfactions à leur arrivée: leurs diplômes sont mal reconnus, le regard porté sur eux est souvent plein de préjugés et les employeurs sont frileux à leur ouvrir leurs portes.
Le fait qu'ils soient, pour la majorité, musulmans renforce les stéréotypes: on les voit comme traditionnels, repliés sur leur communauté, voire menaçants... On perçoit les femmes comme soumises au foyer et les hommes comme rigides, machos et anti-démocratiques. Et les débats récurrents sur la laïcité ou encore sur le port des signes religieux dans les milieux publics et professionnels viennent les placer au coeur d'enjeux dont ils ne sont pas les porteurs. N'oublions pas que ces populations arrivent, comme tout immigrant, avec leurs bagages professionnels, religieux, historiques et culturels pour trouver leur place au Québec, y vivre et participer au développement socio-économique du pays.
Une donne inédite: limiter et sélectionner l'immigration selon l'origine géographique?
C'est dans ce contexte que la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles du Québec a lancé le 14 avril une consultation publique sur la planification de l'immigration au Québec. Dans la planification proposée, on note sept orientations dont la première vise à augmenter à 50 % le nombre de travailleurs qualifiés en adéquation avec les besoins du marché du travail. On vise aussi à renforcer la connaissance du français parmi les nouveaux arrivants et à continuer à les sélectionner parmi les moins de 35 ans.
Si ces orientations sont vertueuses, on peut déjà mettre quelques bémols en particulier quant à l'adéquation de la sélection par rapport à un marché de l'emploi qui est très conjoncturel et fluctuant. On risque de se retrouver avec une population dont la qualification correspondra un temps aux besoins québécois mais qui devra ensuite continuer à s'adapter comme toute la population aux transformations de l'emploi. Il n'existe pas d'immigrant prêt à l'usage qui collerait juste à nos besoins! Et qui serait de plus «re-jetable» après!
Deux autres orientations doivent particulièrement nous interpeller. D'abord, on veut réduire l'immigration annuelle pour la maintenir à un niveau de 50 000 arrivées par an, ceci permettant a priori de maintenir le poids démographique du Québec dans le Canada. Il semble très risqué de prendre ce type de décision à un moment où le Canada et les pays limitrophes continuent à augmenter leur taux d'immigration en le contrôlant bien sûr. Plus encore, les projections démontrent que notre population connaîtra de toute façon un vieillissement accéléré dans les prochaines années et que nul ne sait comment en limiter les effets.
Alors pourquoi cette idée d'un nombre d'immigrants à «ne pas dépasser»? Est-ce l'argument de la sécurité ou celui de la peur de l'invasion qui prévaut? Cette question mérite d'être posée d'autant plus qu'une autre orientation vise à limiter cette fois le pourcentage d'immigrants par bassin géographique de départ.
La ministre propose de ramener le taux de chaque bassin d'immigration (ici continent) à 30 % du total en 2015, ce qui équivaut à faire baisser le nombre d'Africains et surtout de Maghrébins admis au Québec. Voici là encore une mesure inattendue qui fait penser aux orientations prises par plusieurs pays européens que nous taxons de discriminatoires de notre côté de l'Atlantique.
La vraie question est éthique et reste implicite: si les Maghrébins ont de la difficulté à entrer en emploi au Québec et vont parfois grossir les rangs des minorités francophones hors Québec, est-ce parce qu'ils sont non intégrables ou bien parce que notre société ne leur a pas encore fait la place nécessaire? Doit-on en réduire le nombre et de ce fait renforcer les réflexes discriminatoires de notre marché de l'emploi ou au contraire les accueillir et travailler l'ouverture de notre société pour mieux les accompagner vers nos besoins en employabilité? Réduire leur nombre et fixer des quotas ethniques répond-il réellement aux besoins sociaux et économiques de notre société ou est-ce une manière détournée de renforcer les stéréotypes existants et de donner raison à quelques voix qui représentent la fermeture et l'intolérance au Québec?
Il est important que les Québécois regardent de près cette consultation et se prêtent à l'exercice en sortant des stéréotypes et des peurs collectives dont plusieurs sont sous-jacentes aux orientations proposées. Il est aussi important qu'ils continuent à marquer leur différence par rapport au gouvernement canadien en se montrant critiques par rapport à leurs propres politiques, ouverts, inclusifs et respectueux des droits de la personne.
9/5/2011
Source : Cyberpresse.ca