samedi 23 novembre 2024 16:40

Entretien avec Remy Enfrun, le directeur général de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre

Dans un entretien accordé au Matin, Remy Enfrun, revient sur l'alignement des anciens combattants marocains sur celles de leurs frères d'armes français.

LE MATIN : Quel est l'objet de votre visite au Maroc ?

Remy Enfrun : Il s'agit pour moi d'abord de faire connaissance avec ce nouveau service du consulat de France de Casablanca et qui est intégré à l'Office des anciens combattants et victimes de la guerre. J'ai donc pu visiter ce service et rencontrer ses responsables. J'ai pu voir le travail qu'il fait notamment tout ce qui concerne l'orthopédie et l'appareillage médical. Cette visite au Maroc m'a permis en outre de nouer et de renforcer les contacts avec les partenaires institutionnels marocains qui interviennent dans le domaine du soutien au anciens combattants, principalement la Fondation Hassan II pour les œuvres sociales des anciens militaires et anciens combattants. J'ai rencontré également le ministre délégué chargé de la Défense pour poursuivre des actions de coopération qui sont déjà très bien engagées. Puis j'ai voulu aussi et surtout communiquer sur cette 3e phase de la décristallisation des pensions des retraites des militaires qui permet aux anciens militaires marocains, ayant combattu aux côtés de la France, de percevoir la même pension de retraite que leurs homologues français .

A combien se monte la différence entre la pension d'un ancien combattant marocain et d'un ancien combattant français ?

Difficile de donner un ordre de grandeur. Car c'est au cas par cas. Ce qui est certain, c'est que la mesure de décristallisation va augmenter considérablement les pensions des anciens combattants marocains. Mais cette augmentation sera variable d'une personne à l'autre selon les états de service. Environ 10 000 personnes vont pouvoir bénéficier de cette revalorisation. Mais elles ne seront pas les seules. Il y aura d'autres personnes qui, du fait de la dernière modification des textes législatifs en vigueur, seront éligibles aux pensions de retraites, alors qu'elles ne l'étaient pas antérieurement. Selon l'évaluation qui a été faite, cette mesure coûtera au budget de l'Etat français, des sommes importantes. Environ 82 millions d'euros en 2011, 100 millions d'euros en 2012, 125 millions d'euros en 2013 et 150 millions d'euros par an au-delà.

Qu'est-ce qui a changé dans les textes et qui a permis à plus de personnes d'avoir droit à des pensions de retraites ?

Les conditions se sont assouplies. Le Parlement, sur décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2010, a reconnu qu'il y avait une discrimination envers les anciens combattants d'Afrique du nord et d'Afrique noir qui ont combattu avec la France. Le président de la République s'est engagé le 14 juillet 2010 à aligner tous les anciens combattants sur les pensions des anciens combattants en France. On a donc procédé de la sorte, car c'est un devoir de reconnaissance et parce qu'il fallait aussi appliquer la décision du Conseil constitutionnel. On est même allé plus loin, tous les ayants droit des anciens combattants pourront percevoir des pensions de réversion. Par le passé, ces ayants droit se sont vu refuser le bénéfice d'une pension de réversion par ce qu'ils ne remplissaient pas les conditions de mariage telles que précisées dans le code des pensions de 1948.
Il fallait avoir au moins deux années de mariage avant la radiation du défunt mari des cadres de l'armée française. Or, la loi française de 2011 ne pouvait pas se référer au code de 1948 mais au code de 1964 qui était en place au moment où cette loi est entrée en vigueur.

Désormais, donc, le droit à une pension de réversion est ouvert s'il y a quatre ans de mariage ou si un enfant est né, mais peu importe si ce mariage est intervenu avant ou après la radiation des cadres de l'armée.

Que faire pour ceux qui n'ont plus de pièces prouvant qu'ils avaient combattu aux côtés de la France ?

Permettez-moi d'insister sur une chose : il y a une ferme volonté d'attribuer les pensions à ceux qui les méritent. Il va falloir donc faire en sorte que ceux qui n'ont pas tous les documents nécessaires, et qui ont servi aux côtés de la France, puissent bénéficier des pensions. Il faut qu'on arrive à les aider à préparer leurs dossiers de manière à les rendre recevables. Et là nous comptons beaucoup sur le nouveau service de l'ambassade de Casablanca mais aussi sur la Fondation Hassan II pour les œuvres sociales des anciens militaires et anciens combattants et ses délégations régionales. Techniquement on peut aider les gens qui n'ont pas de documents prouvant leur engagement aux côtés de la France. Mais il y a deux conditions qu'il faut réunir.
Il faut d'abord que ce soit un ayant droit, un vrai. Et qu'il ait un minimum d'informations qui permettent de retracer son parcours, même s'il n'a pas de preuves. Il doit nous adresser des informations significatives-par exemple son nom, le régiment dans lequel il a servi et en quelles années- pour qu'on puisse trouver ses références dans nos archives.
Notre but est d'aider ceux qui ont des droits à les faire valoir. Cela étant, il faut garder présent à l'esprit qu'on aurait parfois affaire à des gens qui vont essayer de tricher. On a eu affaire par le passé à des gens qui ont pu fournir des pièces plus vraies que vraies, notamment dans plusieurs pays d'Afrique. C'est comme les faux monnayeurs. Ils ont pu bénéficier indûment de pensions. On est obligé donc de faire des contrôles et des vérifications.

Que signifie pour vous la nouvelle décristallisation des pensions des militaires ?

Cela signifie beaucoup pour moi. Et j'ai salué cette décision quand le président de la République l'a annoncée. Autant la France a voulu depuis très longtemps avoir une reconnaissance à ses frères d'armes à travers des commémorations rappelant leurs sacrifices, autant elle tenait à leur offrir son soutien au niveau social, médical et financier.

Quelle est l'image qu'on a en France d'un ancien combattant marocain ?

Il est perçu comme un combattant farouche et courageux. En tout cas, il a une belle image. La participation des Marocains à la seconde guerre mondiale a été quelque chose de déterminant dans les esprits. Tout ce qui ce fait participe de cette admiration et de cette reconnaissance pour le combattant marocain.

10/5/2011, Abdelwahed Rmiche

Source : Le Matin

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