samedi 23 novembre 2024 17:06

L'équipe de France de football, on l'aime ou on la quitte

Les regrets de Laurent Blanc n'y changeront rien. L'"affaire des quotas" va laisser des traces. Et pas seulement au sein de feu "la grande famille" du football français. Les propos tenus à huis clos et destinés à le rester - "il ne faut pas que ce soit dit" - par de hauts dirigeants de la fédération, sélectionneur des Bleus et directeur technique national (DTN) en tête, ont beau relever de la "discussion de comptoir" - comme l'affirment les principaux accusés -, leur publicité les a chargés de sens.

"On a l'impression qu'on forme le même prototype de joueurs : grands, costauds, puissants. Qu'est-ce qu'il y a actuellement comme grands, costauds, puissants ? Les Blacks. Dieu sait que dans les centres de formation, dans les écoles de football, ben y en a beaucoup. Je crois qu'il faut recentrer, surtout pour des garçons de 13-14 ans, 12-13 ans, avoir d'autres critères, modifiés avec notre propre culture, notre histoire (...). Les Espagnols, ils m'ont dit : "Nous, on n'a pas de problème. Nous, des Blacks, on n'en a pas."" Les mots, prononcés par Laurent Blanc, forment un message ravageur pour tous ces jeunes "Blacks" de "13-14 ans", souvent issus de banlieues, pour lesquels le football constitue l'un des rares vecteurs de réussite et de reconnaissance dans une société qui leur ferme de nombreuses portes.

Les techniciens du football français qui ont participé à cette fameuse réunion du 8 novembre 2010 expliquent que la discussion visait simplement à trouver une solution au "problème" des joueurs binationaux susceptibles de changer de sélection. D'où la suggestion de François Blaquart, le DTN, d'introduire "une espèce de quota" afin de "limiter l'entrée du nombre de gamins qui peuvent changer de nationalité" dans les centres de formation.

"Quand les gens portent les maillots de l'équipe nationale dès 16 ans, 17 ans, 18 ans, 19 ans, 20 ans, Espoirs, et qu'après ils vont aller jouer dans des équipes nord-africaines ou africaines, ça medérange énormément", confesse Laurent Blanc. A la rigueur, si les Karim Benzema, Samir Nasri, Hatem Ben Arfa ou, avant eux, Zinédine Zidane avaient choisi de porter les couleurs du pays d'origine de leurs parents après avoir été formés dans le système fédéral, on pourrait comprendre l'agacement du sélectionneur des Bleus. Mais l'Algérie n'a pas éliminé l'équipe de France du Mondial 2010 !

Et il est heureux que des jeunes joueurs qui restent aux portes de l'équipe de France puissent rejoindre les rangs d'une autre sélection afin de tenter d'assouvir le rêve de tout footballeur : disputer une Coupe du monde.

A l'heure de la mondialisation, les cadres de la fédération devraient d'ailleurs s'enorgueillir de former des joueurs qui vont renforcer les sélections de pays, souvent des anciennes colonies, qui ont fourni des bataillons de joueurs à l'équipe de France. Au lieu de cela, ils voudraient que des enfants se "déterminent" dès l'âge de 12-13 ans pour l'équipe de France ou la sélection du pays d'origine de leurs parents. Demande-t-on à un étudiant qui entre à HEC ou à Sciences Po de s'engager à faire sa carrière dans une entreprise ou une administration française ? "C'est gens-là doivent se déterminer et essayer qu'on les aide à se déterminer, défend pourtant Laurent Blanc. Tu peux les aider à s'identifier." Le mot est lâché.

Car l'affaire des quotas n'est finalement qu'une nouvelle manifestation de l'obsession identitaire qui hante la France de Nicolas Sarkozy et qui a fini par contaminer le football. Une obsession qui s'était déjà exprimée à l'été 2010 après le fiasco des Bleus au Mondial sud-africain à l'encontre des grévistes de Knysna, élevés au rang de traîtres à la nation.

A l'Assemblée nationale, Roselyne Bachelot, alors ministre des sports, n'avait-elle pas décrit "une équipe de France où des caïds immatures commandent à des gamins apeurés" ? Une phrase lourde de sous-entendus, à rapprocher de la saillie du philosophe Alain Finkielkraut à l'encontre d'une équipe de France rongée par les "divisions ethniques et religieuses " et sous la coupe d'une "bande de voyous" appartenant à la "génération "caillera"".

Cette génération qui, un soir de France-Tunisie d'octobre 2008, osa, comble de la provocation, siffler l'hymne national au Stade de France. On se souvient que le président de la République, étonnamment silencieux aujourd'hui, menaça d'arrêter les matches aux prochains sifflets et convoqua sur-le-champ le patron de la Fédération française de football pour lui expliquer que les joueurs se devaient de montrer l'exemple en chantant La Marseillaise.

Etait-ce pour prouver qu'il avait bien retenu la leçon ou que les Bleus ne comportaient plus de "traîtres à la nation" dans leurs rangs ? Lorsqu'il prit les rênes de l'équipe de France en août 2010, l'une des premières décisions de Laurent Blanc fut de distribuer les paroles de La Marseillaise aux Bleus, et de leur demander de la chanter avant les rencontres.

Quatre ans après la campagne présidentielle de 2007, le slogan du candidat Nicolas Sarkozy semble bien être devenu celui de la Fédération française de football : "L'équipe de France, on l'aime ou on la quitte."

11/5/2011, Stéphane Mandard

Source : Le Monde. L’Editorial

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