Europe sans frontières remise en cause, tensions entre le Nord et le Sud autour de l'euro, désenchantement à l'égard des institutions bruxelloises dans les capitales tentées de piloter seules l'UE : la construction européenne traverse une passe très difficile.
"Il est impossible de construire l'Europe sur les égoïsmes nationaux", a déploré cette semaine le chef de file des conservateurs au Parlement européen, Joseph Daul.
Projet emblématique de l'intégration européenne pour les citoyens, l'espace sans passeports Schengen inauguré en 1985 vacille.
Le Danemark a annoncé mercredi sans aucune concertation sa décision de rétablir des contrôles à ses frontières avec l'Allemagne et la Suède, sous la pression d'une formation d'extrême droite, le Parti du Peuple danois, qui entend ainsi lutter contre l'immigration illégale et la criminalité organisée.
Copenhague s'est engouffré dans une brèche ouverte par Paris et Rome, en conflit à leur frontière à propos du sort de plusieurs milliers d'immigrants tunisiens arrivés dans l'UE via l'île italienne de Lampedusa, mais souhaitant pour la plupart se rendre en France.
Sous la pression de Paris, l'UE envisage de permettre aux Etats de rétablir plus facilement des contrôles de passeport, en cas d'immigration massive ou si un Etat est jugé défaillant dans la surveillance de ses frontières.
La solution aux problèmes d'immigration en Europe "n'est pas le retour au chacun pour soi ou à une forteresse Europe", a accusé Joseph Daul.
En parallèle, la solidarité européenne est mise à rude épreuve par les crises de la dette en Grèce, au Portugal ou en Irlande.
Le commissaire européen aux Affaires économiques Olli Rehn s'est dit cette semaine "très inquiet" des "divergences" entre le Nord de l'Europe, "où il y a une certaine fatigue à vouloir aider" les pays considérés comme trop dépensiers, et le Sud de l'Europe, "où il y a une certaine fatigue à poursuivre les réformes nécessaires".
Au milieu, les institutions bruxelloises, à commencer par la Commission européenne de José Manuel Barroso censée représenter l'intérêt général des 27, ont bien du mal à peser face aux grands pays qui entendent limiter son rôle et conduire à leur manière les affaires européennes.
L'irritation à l'égard de la Commission, tout comme le refus d'une intégration européenne plus poussée, sont particulièrement perceptibles en Allemagne, où l'idée de réduire des compétences déléguées jusqu'ici au niveau européen, au profit des Etats nationaux, n'est plus taboue.
"Après la deuxième Guerre mondiale, la construction européenne a été portée par un enthousiasme des Etats impensable aujourd'hui", a estimé le ministre allemand de l'Intérieur Hans-Peter Friedrich au cours d'une rencontre avec des journalistes étrangers à Berlin.
"L'esprit de l'époque a fait que nous avons accepté de construire un gros appareil bureaucratique à Bruxelles, de transférer des compétences à Bruxelles, de créer un Parlement européen", dit-il, en prévenant qu'"une nouvelle phase" s'est ouverte à présent où la "subsidiarité" doit primer en Europe.
Autrement dit, les Etats nationaux doivent conserver leurs compétences, voire en reprendre à Bruxelles, s'ils sont mieux à même de traiter certains dossiers que le niveau européen supranational.
Pour le président de la commission des Affaires européennes à la chambre des députés allemande, Gunther Krichbaum, l'évolution à venir ne fait guère de doute.
"Je pense que la politique européenne va être davantage influencée à l'avenir par le Conseil (l'organe représentant les Etats à Bruxelles, NDLR) que par la Commission", estime-t-il. "Le Conseil sera le chef cuisinier et la Commission le serveur" en salle, ajoute-t-il.
14 Mai 2011
Source : Libération