"Mondialisation, immigration, intégration" : la France est donc tentée par le repli (Le Monde, 24-25 avril). Dans certains secteurs de notre vie nationale, c'est cependant déjà plus qu'une tentation, et bien une réalité. En particulier dans l'enseignement supérieur. Depuis des mois, les discours se succèdent sur "l'explosion du nombre d'étudiants étrangers" (Brice Hortefeux, décembre 2010) et sur la nécessité de faire la chasse aux "étudiants fantômes" qui ne viendraient faire leurs études en France que pour bénéficier de nos aides sociales. En parallèle, les consulats brident les attributions de visas étudiants, les obstacles administratifs restent nombreux pour l'inscription dans une université ou l'obtention d'un titre de séjour, jetant ainsi dans la précarité nombre d'étudiants de bonne foi mais sans-papiers, menacés d'expulsion et arrêtés dans des conditions intolérables. Un situation qui, en focalisant l'attention sur quelques cas marginaux de fraudes avérées, généralise les attitudes de suspicion à l'égard de l'ensemble des étudiants étrangers.
Au-delà des dangers évidents que font peser pareils discours et pratiques de repli (ayons garde de ne pas oublier les conséquences de l'hostilité aux " métèques " dans les universités françaises des années 1930), ce positionnement pourrait bien être aussi une triple erreur.
Erreur stratégique tout d'abord, puisque tout le monde sait qu'à l'heure du capitalisme cognitif, la puissance d'un État et de ses entreprises dépend de la maîtrise des savoirs et de l'innovation, et que, pour rester compétitif, l'attractivité des universités et des grandes écoles représente un enjeu majeur. L'accueil d'universitaires étrangers, et notamment de jeunes chercheurs, détermine la capacité de notre recherche nationale à se trouver en phase avec l'innovation scientifique, à favoriser les transferts de connaissances et de technologies, à exporter nos savoirs à l'étranger – c'est-à-dire, sur le long terme, notre influence internationale.
Erreur économique ensuite, dans la mesure où le séjour prolongé de chercheurs et d'étudiants étrangers représentent une manne potentielle pour nos commerces et nos entreprises, en étant source de créations d'emplois. Le récent rapport parlementaire d'Audit de la politique de l'immigration, de l'intégration et du codéveloppement vient même de prouver, à rebours de toutes les idées reçues, que les immigrés rapportent plus à la France qu'ils ne lui coûtent.
Erreur politique enfin, car la configuration de repli général en Europe pourrait, à condition de s'en démarquer, nous être profitable. David Cameron a par exemple annoncé fin avril une restriction du nombre de visas qui seront désormais accordés à des travailleurs qualifiés. Objectif : 80 000 étudiants étrangers de moins. Une politique qui, tout en visant les étudiants non-européen s'est susceptible d'affaiblir les équipes internationalisées de chercheurs en Grande-Bretagne, souvent même dans des secteurs-clefs (informatique, biotechnologies, etc.). Or, si la France ne prend pas le contre-pied de ce courant général, à qui profiteront les migrations scientifiques internationales si ce n'est à l'Europe ? Aux Etats-Unis, à l'Inde et à la Chine, ces deux dernières attirant déjà nombre d'universitaires et d'étudiants africains chassés par nos politiques d'immigration restrictives.
Contre une logique de repli, notamment dans l'enseignement supérieur et la recherche, il faut au contraire faire le pari de l'étranger. Pari raisonné qui, loin de laisser faire une mondialisation dérégulée, pourrait s'appuyer sur une série de mesures simples : harmonisation des politiques consulaires d'attribution de visas, mise en place de co-recrutements dans les établissements et les laboratoires en vue d'encourager les aller-retour et le co-développement, internationalisation accrue des cursus universitaires français afin d'attirer les étudiants non-francophones, soutien aux réseaux d'études avancés pour améliorer l'accueil des chercheurs étrangers en France, redynamisation de notre diaspora scientifique à l'étranger, à travers nos instituts, si mal considérés aujourd'hui.
La vie universitaire et scientifique est intrinsèquement internationale. À l'heure où l'on ne parle plus que de "politique de civilisation" chez nos responsables politiques, il serait suicidaire pour l'avenir de notre pays de ne pas en tenir compte.
25/5/2011, Guillaume Tronchet
Source : Le Monde