samedi 23 novembre 2024 17:20

Guéant s’enfonce à pas de géant

Il arrive que des ministres affirment des contrevérités. Il est plus rare qu’on leur demande des comptes. Dimanche, sur Europe 1, Claude Guéant avait dénoncé les ratés de l’intégration à la française en déclarant que «deux tiers de l’échec scolaire en France, c’est les enfants d’immigrés».

Devant les protestations du monde de l’éducation, le cabinet du ministre de l’Intérieur avait assuré que ce chiffre était tiré d’un rapport de 2010 du Haut Conseil à l’intégration (HCI). Problème : ledit rapport ne dit rien de tel (lire Désintox du 25 mai). Mercredi, le député Guy Delcourt (Pas-de-Calais) a tenu à mettre le ministre en face de ses responsabilités devant l’Assemblée nationale : «Pour justifier vos propos, vous vous appuyez sur le rapport 2010 du Haut Conseil à l’intégration. Or, rien dans le rapport ne valide votre statistique. Monsieur le ministre, vous livrez des enfants à la haine de certains Français. Monsieur Guéant, ou vous apportez la preuve indiscutable de vos propos, ou vous devez être poursuivi pour propos mensongers de nature à créer la discrimination et à inciter à la haine raciale.» En réponse, Guéant a persisté : «C’est vrai qu’il y a deux tiers des enfants d’immigrés qui se trouvent sortir de l’appareil scolaire sans diplôme. Lorsque je dis cela, ce n’est pas pour stigmatiser, c’est pour régler les problèmes.»

DESINTOX

Notons tout d’abord que Guéant maintient ses propos, en déclarant tout autre chose que ce qu’il avait dit. Le dimanche, Guéant déclare que deux tiers de l’échec scolaire en France est imputable aux immigrés. Le mercredi, il affirme que les deux tiers des enfants d’immigrés sont en échec scolaire. A part le fait de suggérer que les enfants d’immigrés réussissent mal à l’école, il n’y a aucun rapport entre les deux affirmations.

Deuxième problème, la déclaration de Guéant devant l’Assemblée n’est pas seulement mensongère, c’est une énormité. Le rapport du HCI, sur lequel Guéant prétend à nouveau s’appuyer, dit ceci : «11% des enfants d’immigrés sortent du système scolaire sans qualification, contre 6% des autres.» Ce qui nous éloigne beaucoup des «deux tiers» qu’il évoque.

Au cabinet de Guéant, on est un peu embêté. Un conseiller explique que l’expression du ministre a été «un peu rapide», mais persiste sur le fond : «En fait, Claude Guéant voulait dire que sur 150 000 élèves qui quittent chaque année le système scolaire sans aucune qualification, deux tiers sont des enfants d’immigrés.» Une statistique, affirme le conseiller, qui trouve sa source «dans une étude de l’Insee»… ou plutôt, finit-il par concéder, dans des «déclarations de Malika Sorel [essayiste et membre du HCI, ndlr] citant une étude de l’Insee». En avril, Malika Sorel déclarait effectivement : «Les chiffres de l’Insee de 2005 sont accablants ; sur les 150 000 élèves qui sortent du système scolaire chaque année sans diplôme, les deux tiers sont issus de l’immigration». Jointe par Libération, Malika Sorel renvoie à une étude de l’Insee de 2005… qui ne confirme pourtant pas du tout ses propos.

On y lit que «les enfants de famille immigrée sortent presque deux fois plus souvent du système éducatif sans qualification que les autres (10,7% contre 6,1%)». Ce qui ne veut évidemment pas dire que les enfants d’immigrés représentent deux tiers du volume des élèves qui sortent sans qualification.

Yaël Brinbaum, auteure de nombreux travaux sur le sujet, s’est livrée pour Libération à un petit calcul. A partir d’une enquête du Cereq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), basée sur 33 655 jeunes sortis du système éducatif en 2004, elle aboutit à la conclusion que 78% des élèves sortis sans qualification avaient deux parents Français de naissance. Cela fait donc 22% d’enfants d’immigrés. Il arrive à certains ministres de dire des âneries. Rêvons qu’un jour, ils soient contraints de le reconnaître.

27/5/2011, Cédric Mathot

Source : Libération

Google+ Google+